Blog consacré aux littératures africaine et caribéenne. En sommeil depuis octobre 2010.

mercredi 30 décembre 2009

« L’Enigme du retour », de Dany Laferrière


De l’écrivain haïtien Dany Laferrière, j’avais déjà lu le premier roman, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (1985), et un autre, Pays sans chapeau (1996). Le premier, léger, se situait à Montréal, au Canada ; le deuxième, déjà bien plus grave, à Port-au-Prince, en Haïti. Avec L’Enigme du retour (2009), Laferrière continue de filer le thème de l’exil, dans une veine toujours plus personnelle bien que pudique, et pour ce faire effectue un grand écart entre le Québec et la Caraïbe, entre le Nord et le Sud.

Le « retour » dont il fouille « l’énigme » est déclenché par la mort du père, Windsor, en exil comme le fils dans une grande ville d’Amérique du Nord, New York. L’un a été chassé par Papa Doc, l’autre a fui Bébé Doc. Un père qu’il a de ce fait si peu connu et dont il apprend la mort au téléphone, au milieu de la nuit canadienne : « La nouvelle coupe la nuit en deux. / L’appel téléphonique fatal / Que tout homme d’âge mûr / Reçoit un jour. / Mon père vient de mourir. » Ainsi commence le roman, dont l’écriture alterne entre prose et vers libres.

Après avoir suivi brièvement les traces de son père à Brooklyn, le narrateur décide de se rendre, plus de trente ans après son départ en exil, en Haïti. Avec comme compagnon de voyage le Cahier d’un retour au pays natal, d’Aimé Césaire. A Port-au-Prince, il retrouve sa mère qui aura vu partir les deux hommes de sa vie et à qui il doit annoncer que le premier ne reviendra plus jamais, tandis que le second repartira bientôt ; son neveu prénommé Dany qui rêve de devenir écrivain ; ses anciens amis qui mènent tant bien que mal la vie qu’il a fuie ; les anciens amis de son père, devenus qui ex-ministre, qui paysan parmi les poules. Tous lui racontent l’histoire, passée, présente et à venir, de son absence.

Voilà pour les personnages « réels », que domine la figure de la mère généreuse, forte et sacrifiée. Mais L’Enigme du retour est peuplée de visages moins charnels mais tout aussi vivants sous la plume de Dany Laferrière. Il y a l’Exil, bien sûr, morsure plus insidieuse que l’hiver canadien, blessure plus perçante que le soleil haïtien. Il y a l’Art, aussi, celui de l’écrivain au fond de la forêt québécoise ou celui des peintres de Pétionville. Il y a la Mort, surtout, omniprésente, en lunettes noires à l’époque des tontons macoutes, en Kawasaki jaune sous le règne des gangs. Il y a la Faim, enfin, qui rampe, ronge toute la ville de Port-au-Prince, n’épargnant que les riches juchés à flanc de collines…

L’écriture de Dany Laferrière, hommage a la tradition poétique de l’île, est sensible et belle. A la lecture de ce livre, on se surprend à remuer les lèvres au rythme des syllabes. On se sent englouti, plongé dans l’ambiance de Port-au-Prince et de l’arrière-pays ; un voyage tout en ressenti et en retenue. La douleur sans les larmes. La beauté sans ses charmes. L’intimité sans la proximité. C’est peut-être cela, l’exil.

L’Enigme du retour
de Dany Laferrière
Grasset, 2009
300 p., 18 euros


Lire d’autres chroniques de L’Enigme du retour sur les blogs Chez AnnDeKerbu et Clavier bien tempéré.

Lire aussi l'échange entre Dany Laferrière et Lyonel Trouillot : « Paroles d’écrivains haïtiens ».

mardi 29 décembre 2009

Boubacar Boris Diop


Boubacar Boris Diop est né en 1946 à Dakar, au Sénégal. Il a successivement été conseiller technique au ministère de la culture sénégalais et professeur de littérature et de philosophie. Il a également longtemps exercé le métier de journaliste et dirigeant le quotidien sénégalais Le Matin.

Il publie son premier livre en 1981 : Le Temps de Tamango est un roman de politique-fiction qui annonce le ton engagé et l’écriture exigeante de son auteur. Trois romans remarqués plus tard, activement impliqué dans la vie politique et la défense des cultures de l’Afrique, Boubacar Boris Diop se rend avec dix autres écrivains africains au Rwanda, en 1998, quatre ans après le génocide, et participe au collectif d’écriture « Rwanda : écrire par devoir de mémoire. Rwanda: écrire par devoir de mémoire. Cette résidence d’écriture donnera naissance à un nouveau livre, Murambi, le livre des ossements (2000). En 2003, il explore l’écriture en wolof dans Doomi Golo (qu’il traduira dans Les Petits de la guenon en 2009).

Parallèlement à son activité de romancier, Boubacar Boris Diop se fait également dramaturge (Thiaroye, terre rouge, en 1990), scénariste, essayiste. Sous cette dernière casquette, il est l’auteur de L’Afrique au-delà du miroir (2007) et a cosigné les ouvrages Négrophobie (avec François-Xavier Verschave et Odile Tobner, 2005), L’Afrique au secours de l’Occident (d’Anne-Cécile Robert, 2006) et Au sortir de l’enfer (de Jean-Marie Vianney Rurangwa, 2007).

A lire :
Le Temps de Tamango, L’Harmattan, 1981
Les Tambours de la mémoire, L’Harmattan, 1990
Les Traces de la meute, L’Harmattan, 1993
Le Cavalier et son ombre, Stock, 1997
Murambi, le livre des ossements, Stock, 2000
Doomi Golo, Papyrus, 2003
(en wolof)
Kaveena, Philippe Rey, 2006

mercredi 23 décembre 2009

« Les Petits de la guenon », de Boubacar Boris Diop


Le singe séquestreur serait-il une figure de la littérature africaine ? Je ne le crois pas ; c’est pourtant la seconde fois, après Le Passé devant soi de Gilbert Gatore, que je le croise au cours de mes lectures récentes. Dans Les Petits de la guenon, de l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop, il, ou plutôt « ils » car ils sont deux, donnent le titre au livre et retiennent en captivité Atou Seck, un vieil habitant d’un quartier ravagé par une guerre civile. Mais ceci n’est qu’une histoire dans l’histoire, une parabole sortie de l’imagination du véritable narrateur, Nguirane Faye, qui s’est créé un alter ago imaginaire le temps d’une longue digression intitulée « La fausse histoire de Ninki-Nanka ».

Car Nguirane Faye n’a jamais été séquestré par des singes. Tout juste ses petits-enfants Mbissine et Mbissane, arrivés de France avec leur mère au lendemain de la mort du fils de Nguirane, s’amusent-ils avec malice et une certaine tyrannie à uriner sur son tapis de prière. Et « La fausse histoire de Ninki-Nanka » n’est qu’un seul des sept « Carnets » que le vieillard, au soir de sa vie, a entrepris de rédiger à l’attention d’un autre petit-fils, son préféré, Badou, parti à l’étranger, on ne sait où, et dont il est sans nouvelles depuis.

Nguirane Faye a beaucoup de choses à raconter à Badou. La vie à Niarela, petit quartier populaire de Dakar : ses habitants, ses fous, ses on-dit, ses non-dits. L’histoire de leur ancêtre et de leur famille : ses légendes, ses mensonges. La cohabitation avec sa belle-fille, Yacine Ndiaye, dont, pas plus que Mbissine et Mbissane, il ne connaissait l’existence avant qu’elle arrive de Marseille, veuve peu éplorée, et s’installe chez lui. Et puis, bien sûr, cette « fausse histoire de Ninki-Nanka », où un dictateur du nom de Dibi-Dibi promet au peuple le « changement » – en wolof, « sopi » était le slogan de campagne d’Abdoulaye Wade en 2000 – tout en le méprisant royalement…

Beaucoup de désordre, beaucoup de métaphores, beaucoup de choses difficiles à palper dans ce livre formidablement mal foutu et, il faut le dire, quelque peu déroutant… mais dont il se dégage une certaine sensation de cohérence. Nguirane Faye passe du coq à l’âne mais, évidemment, Boubacar Boris Diop le fera retomber sur ses pattes, à la fin. Boubacar Boris Diop qu’on sent malgré tout très présent, qu’on entend souffler quelques digressions à l’oreille du narrateur, qu’on voit tailler la plume qu’une autre main plantera là où ça fait mal.

Les Petits de la guenon, j’aurais dû le préciser dès le début, sont la traduction en français, par Boubacar Boris Diop « himself », de Doomi Golo, roman écrit en wolof par le même Boubacar Boris Diop. Ecriture militante s’il en est, un peu dans la lignée de Sembène Ousmane dont les grévistes des Bouts de bois de Dieu refusaient de négocier en français ; d’ailleurs, qu’il s’agisse de l'épisode où un ancêtre de Nguirane Faye tente de convertir un village à l'islam, de l’histoire de la lutte sénégalaise avec frappe inventée par un Français, ou des réflexions sur le premier baiser sur la bouche échangé en Afrique, l’auteur nous rappelle combien l’influence d’une culture sur l’autre peut être insidieuse. C’est un des nombreux messages que contient le roman. Mais il y a aussi la dénonciation des dirigeants politiques corrompus, qui ont volé l’indépendance et séquestré la démocratie, quand le modèle de Nguirane Faye – et de Boubacar Boris Diop, on l’aura compris – reste Cheikh Anta Diop.

Enfin, plus que la figure du singe, c’est celle du fou qui hante ce roman. Un fou qui ira jusqu’à prendre le relais des « Carnets » de Nguirane Faye dans un récit plein de sagesses dont il faut tirer deux leçons : 1) Les fous ne sont pas toujours ceux que l’on croit. 2) Ceux qu'on ne croit pas fous devraient davantage écouter la part de folie du pays qu’ils sont censés diriger.

Les Petits de la guenon
de Boubacar Boris Diop
Philippe Rey, 2009
439 p., 19,50 euros


Lire aussi l’analyse qui est faite des Petits de la guenon par La Plume francophone.

mardi 15 décembre 2009

Tierno Monénembo


Thierno Saidou Diallo est né en 1947 à Porédaka, en plein cœur du Fouta-Djalon, en Guinée. En 1969, ce fils de fonctionnaire fuit la dictature de Sékou Touré et rejoint, à pied, le Sénégal voisin. Il part ensuite étudier en Côte d’Ivoire puis, à partir de 1973, en France, où il acquiert un doctorat de biochimie à l’université de Lyon. Sa carrière scientifique le conduit par la suite à enseigner au Maroc et en Algérie.

Mais il entreprend également une carrière littéraire, sous le nom de Tierno Monénembo, avec la publication d’un premier roman, Les Crapauds-brousse, en 1979. Sept ans plus tard, sa deuxième fiction, intitulée Les Ecailles du ciel (1986), reçoit le Grand prix de l’Afrique noire. L’œuvre de Tierno Monénembo est aussi marquée par L’Aîné des orphelins (2000), dans lequel il revient sur le génocide rwandais de 1994, et par sa saga Peuls (2004). En 2008, la consécration vient avec l’obtention du prix Renaudot, pour Le Roi de Kahel, alors que l’auteur est en résidence à Cuba.

Aujourd’hui, Tierno Monénembo vit près de Caen, en Normandie. Ses romans sont nourris par ses origines peules, la thématique de l’exil et l’impuissance des intellectuels africains face aux problèmes de leur continent.




A lire :
Les Crapauds-brousse, Seuil, 1979
Les Ecailles du ciel, Seuil, 1986
Un rêve utile, Seuil, 1991
Un attiéké pour Elgass, Seuil, 1993
Pelourinho, Seuil, 1995
Cinéma, Seuil, 1997
L’Aîné des orphelins, Seuil, 2000
Peuls, Seuil, 2004
La Tribu des gonzesses, Cauris, 2006
(théâtre)
Le Roi de Kahel, Seuil, 2008

Sources : Afrik.com, L’Express.fr

dimanche 6 décembre 2009

Hampâté Bâ et Kourouma au théâtre, à Paris


Il faut croire que les écrits des grands auteurs africains, qu’ils soient classiques ou récents, passent particulièrement bien des pages aux planches. J’avais déjà parlé de l’adaptation au théâtre de Verre Cassé, d’Alain Mabanckou, et brièvement évoqué celle des Bouts de bois de Dieu, de Sembène Ousmane (aller voir chez Gangoueus pour plus de détails). Ce mois-ci, deux autres écrivains sont mis à l’honneur sur les scènes parisiennes : le Malien Amadou Hampâté Bâ (1900-1991) et l’Ivoirien Ahmadou Kourouma (1927-2003).



Au théâtre des Bouffes du Nord, Eleven and Twelve est une pièce mise en scène par Peter Brook et adaptée de Vie et enseignement de Tierno Bokar (1957), un livre dans lequel Amadou Hampâté Bâ raconte « l’histoire extraordinaire » du « sage de Bandiagara » – maître spirituel de l’auteur qu’on rencontre par ailleurs dans Amkoullel, l’enfant peul (1991).

Le metteur en scène britannique avait déjà tiré un premier spectacle du livre d’Amadou Hampâté Bâ : en 2004, le théâtre des Bouffes du Nord avait ainsi présenté la pièce Tierno Bokar. Eleven and Twelve en est le prolongement, qui raconte une querelle religieuse entre deux sages de l’islam, avec pour décor une Afrique bouleversée par un colonialisme qui se plaît à jeter de l’huile sur le feu des luttes intestines.

Pour Peter Brook, « ce thème éclaire plus que jamais une question qui concerne aujourd'hui le monde entier : la violence et l’intolérance. Le théâtre doit être très proche de nous pour nous concerner et très inattendu pour éveiller notre imagination. Tierno Bokar réunit ces deux conditions. »

Jusqu’au 19 décembre, au théâtre des Bouffes du Nord.
37 bis, boulevard de la Chapelle – Paris-10ème.
De 10 à 26 euros.
Le spectacle est en anglais, mais surtitré en français.
Plus de détails sur le site du théâtre des Bouffes du Nord.



Le deuxième rendez-vous du mois a lieu au théâtre du Lucernaire. Il s’agit de la pièce Allah n’est pas obligé, « farce carnassière » mise en scène par Laurent Mauriel et adaptée du roman du même nom publié en 2000 par l’écrivain Ahmadou Kourouma. Deux comédiennes y portent la parole du jeune héros, Birahima, enfant-soldat embarqué dans le « bordel au carré » des guerres de Sierra Leone et du Liberia. Histoire pleine d’humour et pourtant tellement monstrueuse, Allah n’est pas obligé décortique l’effet boule de neige et cyclique des guerres civiles en Afrique, sans imposer aucun moralisme au public.

Jusqu’au 3 janvier 2010, au théâtre du Lucernaire.
53, rue Notre-Dame-des-Champs – Paris-6ème.
De 10 à 20 euros.

Plus de détails sur le site du Lucernaire.

mardi 1 décembre 2009

« Le Roi de Kahel », de Tierno Monénembo


Le prix Renaudot 2008 n’a pas été volé. Certes, je n’ai pas lu les autres romans qui avaient alors été sélectionnés, mais ce que je peux dire après avoir dévoré Le Roi de Kahel (2008), de l’écrivain guinéen Tierno Monénembo, c’est que ce livre méritait amplement un tel prix. De la première à la dernière page, j’ai été captivé.

C’est un roman d’aventures comme on n’en fait pas assez. Précisément, il s’agit des aventures romancées d’un homme bien réel, Aimé Olivier (1840-1919), vicomte de Sanderval, personnage multifacettes (ingénieur, homme politique, explorateur, écrivain) issu de la bourgeoisie industrielle lyonnaise, et qui, un beau jour de 1880, s’embarqua pour le Fouta-Djalon (dans l’actuelle Guinée-Conakry) dans l’idée de s’y tailler un royaume avec sa ruse comme seule arme.

Les obstacles sont nombreux. Il y a bien sûr les difficultés physiques inhérentes à une telle expédition : Olivier de Sanderval doit affronter la jungle, ses bêtes sauvages et ses maladies. Mais plus encore, il y a les hommes qui peuplent ou observent ce voyage. Arrivé en territoire peul, notre héros doit user de beaucoup de finesse pour faire accepter sa présence puis ses traités (portant notamment sur l’implantation de factoreries et la construction d’une ligne de chemin de fer) à l’aristocratie peule et, au plus haut niveau, à l’almâmi, chef suprême de cette fédération de royaumes qu’était le Fouta-Djalon.

Olivier de Sanderval se retrouve dans un nid de serpents : à Timbo, capitale du royaume, la cour de l’almâmi grouille d’intrigants ; les chefs peuls se révèlent à couteaux tirés dès que tombent les masques. Dans ce royaume où règnent les non-dits, la sournoiserie et l’ambiguïté, l’ambitieux explorateur va, comme un caméléon, se mettre dans la peau de ces Peuls si retors et faire sien ce double-jeu pour, d’une part, échapper à la décapitation – menace implicite que ses hôtes font peser sur lui comme une épée de Damoclès et qu’ils n’hésiteront pas à mettre en application au moindre faux pas – ou à l’empoisonnement, et, d’autre part, flouer l’administration coloniale française et doubler les velléités anglaises sur un territoire très convoité.

Entre 1880 et 1900, au cours de cinq voyages faits de victoires et de pertes – amoureuses, territoriales, juridiques –, Olivier de Sanderval, emmenant le lecteur avec lui sous la plume vivante, chantante de Tierno Monénembo, apprendra à connaître les Peuls et à gagner leur confiance.

C’est en partie un récit historique que nous livre ici l’auteur du Roi de Kahel : celui d’une région d’Afrique au temps des conquêtes coloniales et du déclin des pouvoirs traditionnels. Mais c’est surtout une formidable biographie romancée, autour d’un destin hors du commun : en ce sens, cette haletante chronique de la vie d’Olivier de Sanderval se situe à mi-chemin entre L’Etrange Destin de Wangrin (1973), d’Amadou Hampâté Bâ – pour la roublardise du personnage –, et Soundjata ou l’Epopée mandingue (1960), de D. T. Niane – pour son héroïsme. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, comme il l’indique en ouverture du roman, Tierno Monénembo doit l’idée de ce livre à son « proviseur »… un certain Djibril Tamsir Niane.

Le Roi de Kahel
de Tierno Monénembo
Seuil, 2008
262 p., 19 euros

D’autres chroniques du Roi de Kahel sur les blogs Ballades et escales en littérature africaine, Liss dans la vallée des livres, Ici palabre.

mardi 24 novembre 2009

« Les Derniers de la rue Ponty », de Sérigne M. Gueye


C’est un livre qui ne pouvait pas laisser insensible ma curiosité. D’une part parce qu’il se déroule à Dakar, ville dans laquelle j’ai eu la chance de séjourner assez longuement. D’autre part parce que son auteur, Sérigne Mbaye Guèye, est plus connu sous son nom de rappeur, Disiz La Peste, et que j’ai moi-même, avant de m’intéresser à la littérature, touché brièvement au rap (pour les plus curieux, quelques morceaux sont en écoute ici). Bref, j’étais curieux d’observer le passage à l’écriture romanesque de l’amoureux des mots qu’un rappeur ne peut manquer d’être.

Avant de commencer la lecture des Derniers de la rue Ponty, j’ai entendu une critique plutôt négative d’Eric Naulleau, sur France 5, disant notamment que ce livre ne répondait pas aux attentes que suscite tout premier roman (on retrouve des propos similaires sur une vidéo de l’émission « On n’est pas couché », sur France 2). Personnellement, je ne ferai pas mien ce reproche, au contraire. Pour tout dire, j’ai été conquis.

Certes, je manque peut-être d’objectivité. Les Derniers de la rue Ponty ont trouvé en moi un terreau favorable. Car ce roman, écrit par un auteur français d’origine belgo-sénégalaise, évoque de nombreux lieux incontournables de la presqu’île du Cap-Vert – la place de l’Indépendance, la plage des Mamelles, l’île de Ngor… – et, partant, flatte les souvenirs de tout lecteur un peu familier de Dakar.

Le héros du livre, Gabriel, se trouve lui-même dans la capitale sénégalaise en tant que « visiteur ». Un visiteur un peu particulier, cependant, puisqu’il est un « ange » venu de France et envoyé là en mission après la mort de Camille, sa compagne. Cette mort le hante et, pour conjurer le sort, un marabout lui donne pour mission de sauver deux existences. Il prendra alors sous son aile deux femmes croisées au cours de ses pérégrinations dans Dakar : Salie, une jeune et belle métisse d’origine franco-sénégalaise, cheveux décolorés et vêtements flashy style années 80, perdue, sans parents, sans avenir ; et Emma, une Française au cœur fané, qui a perdu la foi en même temps que l’espoir d’avoir un jour un enfant.

Parallèlement, d’autres destins peuplent la ville et l’histoire des Derniers de la rue Ponty : Alioune, jeune vendeur de téléphones du marché Sandaga, candidat à l’émigration clandestine et séducteur invétéré, tombe sous le charme de la sublime, envoûtante et si indépendante Miyidima. Ces destins croiseront bientôt ceux de Salie et Emma, sans que jamais les personnages ne se rencontrent.

Ce livre peut paraître au premier abord un peu « angélique ». Il n’en est rien. Page après page, on est happé par les destinées de personnages auxquels on ne peut rester insensible : destinées tour à tour magiques et terribles, les yeux scintillent puis s’embuent. Avec une écriture à la fois classique et lumineuse, très pure et parsemée de belles trouvailles, Sérigne M. Gueye nous immerge dans un monde potentiellement beau, souvent dur, certainement complexe, où l’existence de chacun est intimement liée à celle des autres… et dont l’équilibre, hélas, se nourrit autant de joies que de peines.

Une histoire captivante, une écriture saisissante, un regard sur le monde : Les Derniers de la rue Ponty ont tout pour être un bon premier roman. Le passage du rap à la littérature est réussi.

Les Derniers de la rue Ponty
de Sérigne M. Gueye
Naïve, 2009
219 p., 18 euros

Sérigne Mbaye Guèye est né en 1978 à Amiens, d’une mère belge et d’un père sénégalais. Il s’est fait connaître comme rappeur sous le nom de Disiz La Peste, au sein du groupe Rimeurs à gages, mais c’est la bande originale du film Taxi 2, début 2000, qui l’a révélé au grand public. Suivront quatre albums solo : Le Poisson rouge (2000), Jeu de société (2003), Les Histoires extraordinaires d’un jeune de banlieue (2005) et Disiz The End (2009). Le titre de ce dernier album semble indiquer la fin de sa carrière de rappeur. A noter : avant de reprendre son nom de naissance pour signer son premier roman, Sérigne Mbaye a sorti plusieurs cassettes au Sénégal sous ce nom.


Et pour finir, je ne résiste pas à l’envie de passer un clip du dernier album de Disiz. La chanson s’appelle « Bête de bombe 4 » et, vous le verrez, est pleine de dérision…


Disiz - Bête de Bombe 4
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dimanche 22 novembre 2009

Marie Ndiaye, René Maran : les « scandales » du prix Goncourt


La polémique autour de Marie Ndiaye, lauréate du prix Goncourt avec Trois femmes puissantes (Gallimard, 2009), est heureusement vite retombée. Elle n’avait pas lieu d’être, et n’aurait même pas dû naître. Il s’est hélas trouvé un député UMP assez réac’ et ridicule, Eric Raoult, pour avoir estimé scandaleux qu’une auteure ayant jugé « monstrueuse » la France de Nicolas Sarkozy, quelques mois plus tôt dans une interview au magazine Les Inrockuptibles, obtienne le plus prestigieux prix littéraire français. Doublement ridicule : un écrivain n’est tenu à aucun devoir de réserve ni de « modération » ; et quand bien même il souhaiterait s’autocensurer, on ne voit guère comment il exercerait cette « modération » sur des propos tenus avant l’obtention du prix…

En fait, il semblerait qu'Eric Raoult se fasse une idée de la liberté d’expression plus rétrograde qu’« au temps béni des colonies ». Car en 1921, le lauréat du prix Goncourt, René Maran, premier écrivain noir à l’obtenir, n’était pas très amène vis-à-vis de la politique française : précisément, c’était l’administration coloniale qu’il épinglait dans le roman primé, Batouala, « véritable roman nègre ». Et, tout fonctionnaire en Afrique équatoriale française (AEF) qu’il était, personne ne pensa à lui refuser le Goncourt au nom d’un manquement à un éventuel « droit de réserve », même si René Maran fut contraint de démissionner de son poste. L’affaire fit cependant couler beaucoup d’encre…

Le 14 décembre 1921, les Dix de l’Académie Goncourt attribuèrent donc le 19ème prix Goncourt à Batouala, de l’écrivain d’origine guyanaise René Maran, alors âgé de 34 ans et quasi inconnu dans les milieux littéraires et artistiques métropolitains. Batouala obtint cinq voix contre cinq autres pour Epithalame, de Jacques Chardonne, et n’obtint donc le prix que de justesse, grâce à la voix prépondérante du président Gustave Geffroy. Il faut dire que les opposants à René Maran ne manquaient pas, qui voyaient dans son roman « un livre abominable ». L’auteur le jugeait lui-même « trop noir et non-européen » pour les Français…

Batouala porte le nom d’un vieux chef africain dont le roman raconte l’histoire, avec en trame de fond l’arrivée des Blancs (probablement en Oubangui-Chari, René Maran étant alors fonctionnaire du ministère des colonies à Bangui). Mais plus que l’intrigue, c’est la préface du livre qui déclencha un vent de scandale dans les milieux coloniaux. René Maran s’y livrait à une attaque en règle de la façon dont la France administrait ses colonies, multipliant les abus et les signes de mépris envers les « indigènes ».

Morceau choisi : « La large vie coloniale, si l’on pouvait savoir de quelle quotidienne bassesse elle est faite, on en parlerait moins, on n’en parlerait plus. Elle avilit peu à peu. Rares sont, même parmi les fonctionnaires, les coloniaux qui cultivent leur esprit. Ils n’ont pas la force de résister à l’ambiance. On s’habitue à l’alcool. » Ou encore : « C’est à redresser tout ce que l’administration désigne sous l’euphémisme d’« errements » que je vous convie. La lutte sera serrée. Vous allez affronter des négriers. »

Des mots forts, écrits sans hésitation sur les premières pages du livre ; des mots durs, bien plus que ceux prononcés par Marie Ndiaye dans Les Inrocks. Malgré le Goncourt et la reconnaissance des cercles littéraires, anticolonialistes ou noirs – Léopold Sédar Senghor fera de René Maran un « précurseur de la Négritude » –, la réaction ne se fit pas attendre : l’administration coloniale interdit la diffusion de Batouala en Afrique.

René Maran, Marie Ndiaye… Deux auteurs, deux époques. En 1921, la préface d’un roman faisait scandale. Aujourd’hui, à l’ère de l’Internet, une petite phrase suscite une indignation somme toute assez artificielle chez ceux qui veulent créer le « buzz ». Mais le pilon a ses beaux jours loin derrière lui. N’en déplaise à Eric Raoult.


A lire :
Batouala
de René Maran
Albin Michel, 1921
250 p., 13,90 euros

jeudi 19 novembre 2009

Lyonel Trouillot lauréat du prix Wepler-Fondation La Poste


Une nouvelle récompense pour la littérature haïtienne. Après le Médicis pour Dany Laferrière, l’écrivain Lyonel Trouillot a décroché le prix Wepler-Fondation La Poste, avec son roman Yanvalou pour Charlie (Actes Sud, 2009). Le prix est doté de 10 000 euros.

Présentation de l’éditeur :
Au prix du cynisme, Mathurin D. Saint-Fort a cru pouvoir effacer de sa mémoire les souffrances d'un passé qu'il s'emploie à renier pour se placer toujours davantage du bon côté de l'existence. Jusqu'au jour où fait irruption dans la vie de l'avocat ambitieux qu'il est devenu, un adolescent loqueteux. Charlie, en absolue détresse, vient lui demander de l'aide au nom des attachements de jadis.

Yanvalou pour Charlie
de Lyonel Trouillot
Actes Sud, 2009
176 p., 18 euros


mardi 17 novembre 2009

« La Fureur des mots » autour d’Aimé Césaire, Paris-14ème


La figure d’Aimé Césaire, homme de lettres et homme politique martiniquais, est au cœur du l’édition 2009 du festival La Fureur des mots, organisé par la mairie du 14ème arrondissement de Paris, du 13 au 29 novembre. La Ville s’apprête d’ailleurs à donner le nom de l’écrivain à la bibliothèque Plaisance, afin de rendre hommage à « l’engagement littéraire » du poète et à « l’action politique contre le colonialisme » du député.

Cet hommage prend plusieurs formes :

- Une exposition des planches originales du livre de Daniel Maximin, Cent poèmes d’Aimé Césaire (Omnibus, 2009), sur les thèmes développés par Aimé Césaire : la Caraïbe natale, la décolonisation des peuples et des esprits, l’amour, la liberté. Bibliothèque Plaisance, jusqu’au 12 décembre. Vernissage le mardi 17 novembre à 18 heures.

- Une lecture du « Discours sur la négritude » que prononça Aimé Césaire lors de la première conférence des peuples noirs de la diaspora, à Miami, en 1987. Bibliothèque Brassens, jeudi 19 novembre à 20 heures.

- Une projection du film Eia pour Césaire !, de Sarah Maldoror, cinéaste d’origine guadeloupéenne. Suivi d’une débat avec Daniel Maximin, George Pau-Langevin, Annick Thébia. L’Entrepot, dimanche 22 novembre à 11 heures.

- Une lecture de textes d’Aimé Césaire, de Léopold Sédar Senghor et de Léon Gontran Damas, autres figures de la Négritude. Hôtel de Massa, mardi 24 novembre à 20 heures.

Contes pour enfants, chasse au trésor à travers les librairies et les bibliothèques, slam, bal littéraire, concours d’écriture avec les écoles, rencontres-dédicaces avec des écrivains… Le programme de La Fureur des mots compte par ailleurs de nombreux rendez-vous. A noter, Danny Laferrière dédicacera L’Enigme du retour le samedi 28 novembre à la librairie Tropiques.

Le programme complet est téléchargeable ici.

La Fureur des mots
Paris-14ème
Du 13 au 29 novembre

dimanche 15 novembre 2009

Janis Otsiemi


Janis Otsiemi est né en 1976 à Franceville, dans la province du Haut-Ogooué, au Gabon. Ancien élève du collège public d’Akébé (aujourd’hui collège Georges-Mabignat), il est actuellement secrétaire général adjoint de l’Union des écrivains gabonais, après un bref passage au gouvernorat de l’Estuaire

Il a publié son premier roman, Tous les chemins mènent à l’Autre (2001), à l’âge de 24 ans, ce qui lui vaudra le prix du Premier roman gabonais. Romancier, poète et essayiste (Guerre de succession au Gabon : Les Prétendants, Edilivre, 2007), Janis Otsiémi a également été lauréat du prix du Centenaire de la naissance du président Léon Mba pour son recueil de poèmes, Chants d’exil. Depuis 2007, Janis Otsiemi se veut l’ambassadeur du « polar de la brousse, tendance social et et urbain », avec deux romans : Peau de balle (2007) et La vie est un sale boulot (2009), et un recueil de nouvelles (La Faute à l’Autre, Edilivre, 2009).

Marié et père de trois enfants, le romancier vit et travaille à Libreville.

A lire :
Tous les chemins mènent à l’Autre, éd. Raponda Walker, 2001
Peau de balle, Editions du Polar, 2007

vendredi 13 novembre 2009

« La vie est un sale boulot », de Janis Otsiemi


C’est le deuxième polar africain que je lis, après La Malédiction du Lamantin, de Moussa Konaté. Il faut dire que leurs éditeurs savent s’y prendre, puisque les deux fois, j’ai été contacté avant même d’avoir eu vent de ces romans. Et tant mieux. Les rayons Afrique des librairies étant peu fourni et se ressemblant souvent – à moins d’aller du côté de Présence africaine ou du musée Dapper –, il est assez bienvenu de se voir « suggérer », par un éditeur ou par un ami, des livres qui nous auraient échappé autrement. Et puis, il faut bien l’avouer, cela fait toujours plaisir de trouver, un beau matin, un bouquin dans sa boîte aux lettres…

Mais revenons à nos moutons, en l’occurrence : La vie est un sale boulot (2009), de l’écrivain gabonais Janis Otsiemi. Où l’on découvre Chicano, fraîchement sorti de prison à la faveur d’une grâce collective – et peut-être d’une erreur d’homonymie –, après trois ans fermes pour un braquage qui avait mal tourné. De retour dans Libreville, notre homme est bien décidé à se ranger, trouver un boulot honnête et éviter les embrouilles mais, évidemment, les anciens « amis » rôdent tandis que la petite copine s’est recasée. Et bientôt, Chicano se retrouvera embarqué dans le coup du siècle…

Peuplée de voyous sans scrupules et de flics ripoux, l’intrigue, quoique classique, est efficace. Et Janis Otsiemi sait lui donner les coups de fouet qui feront rebondir la pelote jusqu’au bout de son fil. De fait, il n’y va pas de main morte, et les péripéties s’enchaînent à un rythme effréné, dans la chaleur de Libreville, capitale de la magouille à tous les étages – suivez mon regard… L’action est soutenue par un langage qui l’est moins, mais travaillé, ça oui ! Un argot librevillois, un sens de la formule, que n’aurait pas reniés un Frédéric Dard africain…

Mais la comparaison s’arrête là. S’il est vrai que La vie est un sale boulot tient le lecteur en haleine, il faut reconnaître que ce polar manque un peu d’épaisseur. Plus que le nombre de pages (une grosse centaine), c’est la profondeur de l’histoire, la densité de l’ambiance, qui font défaut : elles n’ont pas le temps de s’installer. L’action prend le pas sur tout le reste : à peine effleure-t-on un aspect auquel s’accrocher qu’on passe déjà à autre chose. Certes, on va de surprise en surprise, mais au détriment du suspense… Et Janis Otsiemi ne s’attarde pas trop sur la personnalité des personnages, à vrai dire à peine plus consistants que de simples « individus » dans un procès verbal rédigé à la va-vite.

La vie est un sale boulot
de Janis Otsiemi
éd. Jigal, 2009
137 p., 14 euros


Lire d’autres chroniques de La vie est un sale boulot sur les blogs Ballades et escales en littérature africaine, Moisson noire et Action-Suspense.

jeudi 12 novembre 2009

Amadou Hampâté Bâ


Amadou Hampâté Bâ est né en 1900 à Bandiagara, dans l’actuel Mali, au sein d’une famille peule aristocratique. Il fréquente d’abord l’école coranique de Tierno Bokar, dignitaire de la confrérie tidianiya qui demeurera son maître spirituel, avant d’être réquisitionné d’office pour l’école française à Bandiagara puis à Djenné. En 1921, il refuse d’intégrer l’école normale de Gorée et est affecté à Ougadougou (Haute-Volta, actuel Burkina Faso) en tant qu’« écrivain temporaire à titre essentiellement précaire et révocable »

Il occupera par la suite différents postes dans l’administration coloniale, jusqu’en 1942, date à laquelle il rejoint le professeur Théodore Monod à l’Institut français d’Afrique noire (IFAN) de Dakar. Il y effectue des enquêtes ethnologiques et s’y livre à un important travail de recueil des traditions orales, ce qui l’amènera notamment à rédiger son premier livre, un ouvrage historique intitulé L’Empire peul du Macina (1955).

En 1960, à l’indépendance du Mali, Amadou Hampâté Bâ fonde l’Institut des sciences humaines de Bamako et représente son pays à la conférence générale de l’Unesco. L’année suivante, il devient membre du conseil exécutif de l’organisation internationale, au sein de laquelle il participera à l’élaboration d’un système unifié pour la transcription des langues africaines.

Son mandat à l’Unesco prenant fin en 1970, Amadou Hampâté Bâ se consacre davantage à la littérature et, en 1973, L’Etrange Destin de Wangrin lui vaut le grand prix littéraire d’Afrique noire. Retiré à Abidjan, l’ethnologue et écrivain, à qui l’on doit la célèbre phrase « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle », se consacre au classement des archives accumulées durant sa vie sur les traditions orales d’Afrique de l’Ouest ainsi qu’à la rédaction des ses mémoires, qui seront publiées après sa mort, le 15 mai 1991.

A lire :
L’Empire peul du Macina, Nouvelles éditions africaines, 1955
Vie et enseignement de Tierno Bokar, Présence africaine, 1957
Kaïdara, récit initiatique peul, Julliard/Unesco, 1968
L’Etrange Destin de Wangrin, Union générale d’éditions, 1973
L’Eclat de la grande étoile, Armand Colin, 1974
Jésus vu par un musulman, Nouvelles éditions africaines, 1976
Amkoullel, l’enfant peul, Actes Sud, 1991
Oui mon commandant !, Actes Sud, 1994
Petit Bodiel et autres contes de la savane, Stock, 1994
Il n’y a pas de petite querelle : nouveaux contes de la savane, Stock, 1999


mardi 10 novembre 2009

Exposition sur « Présence africaine » au musée du quai Branly


Aujourd’hui s’est ouverte au musée du quai Branly, à Paris, une exposition consacrée à Présence africaine, la revue littéraire et culturelle fondée en 1947 par l’intellectuel sénégalais Alioune Diop, devenue également, deux ans plus tard, la maison d’édition que l’on connaît mieux aujourd’hui. Cette exposition, intitulée « Présence africaine : une tribune, un mouvement, un réseau », durera jusqu’au 31 janvier 2010.

Divisée en quatre sections présentant de nombreux ouvrages et documents d’archives, des photographies et quelques objets, des enregistrements sonores et audiovisuels, l’exposition donne à voir « l’émergence et l’influence d’un mouvement, d’une tribune pour la pensée et les revendications du monde noir à un époque où la majeure partie de l’Occident en avait une vision déformée, voir dépréciatrice ».

La première partie présente le contexte dans lequel la revue est apparue et les influences qui ont présidé à sa naissance : la presse noire de l’entre-deux-guerres – on pense à L’Etudiant noir, La Voix des Nègres ou encore La Revue du monde noir –, les mouvements noirs américains – la « Harlem Renaissance » –, la Négritude, les luttes anticolonialistes…

La deuxième partie présente le projet et les engagements de Présence africaine, et la façon dont Alioune Diop a réussi à fédérer tous les acteurs des diasporas noires, d’Aimé Césaire à Cheikh Anta Diop, mais aussi des soutiens du monde blanc tels que Jean-Paul Sartre ou André Breton.

La troisième partie revient sur les deux congrès des artistes noirs organisés par la revue, en 1956 et 1959. L’occasion d’évoquer les débats qui animaient le monde littéraire et intellectuel noir dans les années 1950-1960 : Guerre froide dans le monde, colonisation en Afrique, ségrégation raciale au Etats-Unis, apartheid en Afrique du Sud…

Enfin, la quatrième partie évoque l’action de Présence africaine en faveur de « l’art nègre », avec notamment l’organisation du premier Festival mondial des arts nègres, à Dakar en 1966.

Tous les détails ici.

Musée du quai Branly
37, quai Branly - Paris-7ème

dimanche 8 novembre 2009

Festival « Ecrivains d’Afrique : escales en Champagne-Ardenne »


Ce mois-ci, la littérature africaine est à l’honneur en Champagne-Ardenne. L’association Interbibly, agence de coopération entre les bibliothèques, les services d’archives et les centres de documentation de la région, y organise, du 12 au 25 novembre, un festival intitulé « Ecrivains d’Afrique : escales en Champagne-Ardenne » et ainsi résumé : « rencontres d’auteurs en bibliothèques et dédicaces en partenariat avec les librairies ».

Pour Delphine Quéreux-Sbaï, co-présidente d’Interbibly, il s’agit de proposer « des échanges Nord-Sud d’un autre genre, une façon originale de découvrir le continent africain, son histoire riche, son héritage complexe et sa vitalité créatrice ». C’est aussi, selon elle, « l’occasion pour nos bibliothèques de vibrer au rythme et aux couleurs d’une Afrique plurielle ».

Plurielle, la liste des auteurs invités l’est en effet. Seront présents des écrivains reconnus et d’autres qui gagnent à l’être :

- pour la Côte d’Ivoire, la scénariste de BD Marguerite Abouet (Aya de Yopougon, Gallimard, 2008) et l’écrivaine Véronique Tadjo (Ayanda, la petite fille qui ne voulait pas grandir, Actes Sud junior, 2007).
- pour l’Afrique du Sud, André Brink (Dans le miroir, Actes Sud, 2009).
- pour le Sénégal, Ken Bugul (Mes hommes à moi, Présence africaine, 2008) et Fatou Diome (Inassouvies, nos vies, Flammarion, 2008).
- pour le Cameroun, Gaston-Paul Effa (Nous, enfants de la tradition, Anne Carrière, 2008) et Gaston Kelman (Les Hirondelles du printemps africain, JC Lattès, 2008).
- pour le Congo-Brazzaville, Wilfried N’Sondé (Le Cœur des enfants léopards, Actes Sud, 2009) et Antoine Matha (Epitaphe, Gallimard, 2009) : à noter, ce dernier est le local de l’étape, puisque l’auteur a élu domicile à Reims.
- pour le Rwanda, Esther Mujawayo (La Fleur de Stéphanie, Flammarion, 2009).
- et enfin pour Djibouti, Abdourahman A. Waberi (Passage des larmes, JC Lattès, 2009).

Soit, au total, près de 40 rencontres avec onze auteurs originaires de sept pays, dans 24 petites et grandes bibliothèques des Ardennes, de l’Aube, de la Marne et de la Haute-Marne.

Le programme des rencontres et la liste des bibliothèques et librairies participantes est consultable sur le site d’Interbibly.




Et c’est bien connu, quand y’en a plus, y’en a encore ! et c’est du côté de Chaumont (Haute-Marne) qu’il faut aller chercher le petit supplément de ce festival, du 11 au 15 novembre. Pour être dans le même ton, le septième salon du livre de la ville a en effet adopté pour thème : « L’Afrique & les déserts ». Dédicaces, débats, lectures, contes, théâtre, mais aussi expositions, cinéma, musique… le programme est riche et dépasse le seul cadre de la littérature.

On retrouvera au salon du livre de Chaumont quelques-uns des auteurs participant au festival de Champagne-Ardenne : André Brink, Ken Bugul, Gaston-Paul Effa, Gaston Kelman, Wilfried N’Sondé et Abdourahman Waberi.

Pour plus détails, c’est par ici.

samedi 7 novembre 2009

Dany Laferrière lauréat du prix Médicis


L’écrivain haïtien Dany Laferrière a reçu mercredi 4 novembre le prix Médicis pour L’Enigme du retour (Grasset). Dany Laferrière a été récompensé au premier tour de scrutin par quatre voix contre une à Alain Blottière pour Le Tombeau de Tommy (Gallimard).

Dans L’Enigme du retour, résume l’éditeur, « on retrouve le personnage de l'écrivain qui ne fait apparemment rien que prendre des bains dans son appartement à Montréal. Un matin, on lui téléphone : son père vient de mourir. Son père qui avait été exilé d'Haïti par le dictateur Papa Doc, comme le narrateur, des années plus tard, l'avait été par son fils, le non moins dictatorial Bébé Doc. C'est l'occasion pour lui d'un voyage initiatique à rebours. Il part d'abord vers le Nord, comme s'il voulait paradoxalement fuir son passé, puis gagne Haïti pour les funérailles de son père. Accompagné d'un neveu, il parcourt son île natale dans un périple doux et grave, rêveur et plein de charme, qui le mène sur les traces de son passé, de ses origines. Mais revient-on jamais chez soi ? »

Avec ce livre, Dany Laferrière est également sélectionné pour le prix Femina qui sera remis le 9 novembre.

L’Enigme du retour
de Dany Laferrière
Grasset, 2009

lundi 2 novembre 2009

Marie Ndiaye lauréate du prix Goncourt


Et le lauréat du prix Goncourt 2009 est… une lauréate ! D’origine franco-sénégalaise, Marie Ndiaye est la première femme à obtenir le plus prestigieux prix littéraire français depuis 1998. Son roman, Trois femmes puissantes (Gallimard), a été choisi au premier tour par le jury du Goncourt, par cinq voix contre deux pour Jean-Philippe Toussaint (La Vérité sur Marie, éd. de Minuit) et une pour Delphine de Vigan (Les Heures souterraines, JC Lattès).

Trois femmes puissantes, explique l’éditeur, est l’histoire de trois femmes, Norah, Fanta et Khady Demba, « qui disent non » et « se battent pour préserver leur dignité contre les humiliations que la vie leur inflige avec une obstination méthodique et incompréhensible ». C’est aussi le premier roman dans lequel l’auteure évoque l’Afrique. C’est son douzième roman. Marie Ndiaye avait déjà remporté le prix Femina, en 2001, avec Rosie Carpe (éd. de Minuit).



Trois femmes puissantes
de Marie Ndiaye
Gallimard, 2009
316 p., 19 euros



Interlignes : NDiaye, Trois Femmes puissantes
envoyé par Curiosphere. - Regardez plus de courts métrages.

dimanche 1 novembre 2009

Paroles de… Mamadou Mahmoud N’Dongo


Je n’ai encore rien lu de Mamadou Mahmoud N’Dongo, mais ça ne devrait pas tarder. L’écrivain – français d’origine sénégalaise –, qui était samedi l’invité du musée Dapper, dans le cadre d’un week-end consacré à « Des hommes dans la ville », a déjà derrière lui quatre romans : L’Histoire du fauteuil qui s’amouracha d’une âme (L’Harmattan, 1997), L’Errance de Sidiki Bâ (L’Harmattan, 1999), Bridge Road (Le Serpent à plumes, 2006) et El Hadj (Le Serpent à plumes, 2008). Il est également cinéaste et photographe.

Né en 1970 à Pikine, au Sénégal, Mamadou Mahmoud N’Dongo a grandi à Drancy, en Seine-Saint-Denis. C’est de ce vécu que s’inspire son dernier roman, El Hadj, qui met en scène un homme qui tente de s’extraire de la cité, de se détacher des liens qu’elle tisse autour de ses habitants. L’auteur lui-même, s’il vit toujours à Drancy, s’est construit sa propre destinée en s’inscrivant, à l’âge de 20 ans, à des cours d’histoire de l’art et de cinéma, fuyant le déterminisme social qui voulait que l’éducation nationale l’oriente vers des filières techniques. C’est aussi la construction d’une bibliothèque en bas de chez lui, quand il avait 11 ans, qui l’a poussé à se construire un univers parallèle à la culture de cité.

El Hadj est écrit de manière très fragmentée, très cinématographique, de façon à « évoquer des choses en très peu de mots », dixit l’auteur. Le rappeur Rocé, qui a lu des extraits du roman au cours cette rencontre-débat du musée Dapper, ne dirait probablement pas autre chose de ses textes, dont il a livré une version a capella pour deux d’entre eux – dont « On s’habitue », dont je vous propose de visionner le clip plus bas.

Mais avant cela, la parole est à Mamadou Mahmoud N’Dongo, un « homme dans la ville » :



« CHEZ NOUS, CHEZ EUX »
La cité que décrit Mamadou Mahmoud N’Dongo est un monde a part, coupé du reste d’une société discriminante. Un milieu insulaire séparé du reste du monde physiquement et symboliquement – par un océan de codes et de références…

Mamadou Mahmoud N’Dongo : « La cité, c’est un no man’s land dont on ne sort pas. Aux Etats-Unis, les ghettos sont au centre-ville ; en France, on met en périphérie les gens dont on ne veut pas. Il y a un fort taux d’illettrisme, d’alcoolisme, de violence. Et on n’en sort pas. Il y a chez nous et chez eux. Aller à Paris, c’est l’expédition ; moi-même j’ai mis des années avant d’y aller.
« On crée nos propres règles. L’éducation nationale n’a pas droit de cité dans ce monde où l’on crée nos propres références, Mesrine et Scarface, et notre propre hiérarchie : quelqu’un de respectable, c’est quelqu’un qui va se faire en un jour, par quelque moyen que ce soit, ce qu’un smicard se fait en un mois.
« Mais il y a une autre partie de la cité qui veut intégrer la société française, laquelle est très discriminante. Malgré la devise « Liberté, égalité, fraternité », dans le réel, c’est à vous d’y aller. Dans cette perspective, l’élection d’Obama a fait beaucoup de bien en France, peut-être plus qu’aux Etats-Unis : son exemple montre que les références qu’on se donne, ce ne sont pas les bonnes. »


« LA FATALITE DE L’HERITAGE »
De la difficulté de concilier la culture d’origine et la culture de la cité, les liens d’appartenance communautaire et les échappées vers le reste de la société…

Mamadou Mahmoud N’Dongo : « Dans mon roman, rien que le prénom du héros, El Hadj, « le pèlerin », et son nom, Keita, c’est une fatalité, un héritage. El Hadj vient d’une grande famille africaine, les Keita – car en Afrique aussi il y a eu des empires, des systèmes de castes. C’est pour fuir cette fatalité que dans les cités, ils ont souvent des pseudos : pour se créer leur propre culture et, encore une fois, leurs propres références.
« Dans ma culture sénégalaise, je n’existe pas dans mon individualité, mais seulement dans un clan, une famille. Les Africains ont ramené ça dans la cité, où tout est affaire de liens de subordination et d’interdépendance. Si tu pars, tu risques de mettre en branle tout l’équilibre du clan. La communauté a été créée pour te retenir.
« Mon héros a les ressources intellectuelles pour observer ce phénomène et prendre de la distance. Il veut aller vers autre chose. Les autres se demandent pourquoi il les quitte. Eux sont très bien dans cette communauté. »


« LES VILLES, LIEUX DE MEMOIRE »
Mamadou Mahmoud N’Dongo a grandi à Drancy mais, dans le cadre d’une bourse Stendhal, il a aussi vécu à New York et, depuis un mois, il séjourne à Berlin. Pour l’écrivain, les villes portent les mémoires de ce qu’on a voulu en faire et de ce que les habitants y laissent.

Mamadou Mahmoud N’Dongo : « Les villes sont des lieux de passage mais aussi de fixation. Il y a ce qu’on veut en faire, mais il y a aussi les gens qui y vivent et qui vont laisser leur mémoire.
« Drancy, pendant l’Occupation, c’était un camp de transit, point de départ vers les camps d’extermination. Quand j’étais petit, en allant jouer au football, je voyais un wagon, et des vieux, avec de drôles de tatouages sur les avant-bras, qui venaient le voir… Il y a un atavisme : avant d’être une banlieue, Drancy était déjà un lieu de relégation. Savoir cela, ça vous pose, et ça vous fait aussi vous poser certaines questions : Quelle est la place de l’Autre ? Comment exclut-on l’Autre ?
« A New York, il y a une différence entre Manhattan, cosmopolite quartier d’affaires, et Brooklyn, où l’on trouve tout ce dont l’Amérique, les Américains, ne veulent pas : les Noirs, les Asiatiques, les homosexuels… Tandis qu’à Harlem, quartier noir autrefois réputé mal famé, il n’y a plus que des bobos, car l’ancien maire Rudolf Giuliani a voulu sécuriser et nettoyer la ville. Reste qu’à New York, marquée par le protestantisme pour lequel la richesse est le signe qu’on est élu de Dieu, avant d’être blanc ou noir, vous êtes d’abord et surtout riche ou pauvre… »


El Hadj
de Mamadou Mahmoud N’Dongo,
Le Serpent à plumes, 2008
293 p., 18 euros










Et comme promis, le clip de « On s’habitue », du rappeur Rocé, également invité à cette rencontre-débat du musée Dapper :



Rocé - On s'habitue
envoyé par germinho. - Clip, interview et concert.

samedi 31 octobre 2009

« Amkoullel, l’enfant peul », d’Amadou Hampâté Bâ


Ce livre n’est pas seulement un classique. C’est un témoignage exceptionnel sur l’Afrique de l’Ouest du début du XXème siècle, et plus particulièrement sur le Macina, une région du Mali (à cette époque intégré à la colonie du Haut-Sénégal-et-Niger) située dans la boucle du fleuve Niger. Amkoullel, l’enfant peul (1991) est le premier tome des mémoires d’Amadou Hampâté Bâ, avant Oui mon commandant ! (1994) : de 1900, année de sa naissance à Bandiagara, à 1921. Ou la jeunesse d’un « homme de connaissance » à la mémoire prodigieuse, doublé d’un formidable conteur à la plume sensible.

Mais pour faire un résumé de son enfance, le mieux est encore de lui laisser la parole :

« Chaque fois que mon existence commençait à s’engager sur une belle voie bien droite, le destin semblait s’amuser à lui donner une chiquenaude pour la faire basculer dans une direction totalement opposée, faisant régulièrement alterner des périodes de chance et de malchance. Cela commença bien avant ma naissance, avec mon père Hampâté, qui aurait dû (et ses enfants après lui) hériter d’une chefferie dans le pays du Fakala, et qui se retrouva, seul rescapé survivant de toute sa famille, réfugié anonyme au fond d’une boucherie. Réhabilité par le roi même qui avait fait massacrer tous les siens, voilà qu’il meurt trop tôt pour que je le connaisse vraiment et que le sort fait de moi un petit orphelin de trois ans. Un riche et noble chef de province vient-il à épouser ma mère et à m’adopter comme héritier et fils présomptif, faisant planer au-dessus de ma tête le turban des chefs de Louta ? Patatras ! Nous nous retrouvons tous en exil et me voilà fils de bagnard. Enfin revenus à Bandiagara où la vie semble reprendre son cours normal, voilà que l’on m’arrache brutalement à mes occupations traditionnelles, qui m’auraient sans doute dirigé vers une carrière classique de marabout-enseignant, pour m’envoyer d’office à l’école des Blancs, alors considérée par la masse musulmane comme la voie la plus directe pour aller en enfer ! »
(pp. 307-308, collection Babel)

Encore ne sont-ce que les premières années d’un destin décidément mouvementé, et tellement riche ! D’ascendance peule et toucouleure ; ayant vécu à Bandiagara, Bougouni, Djenné, Kati, Bamako ; ayant fréquenté les écoles coranique et républicaine tout comme les « marabouts-enseignants »… le jeune Ahmadou Hampâté Bâ a vécu de nombreuses expériences et a su tirer de chacune d’entre elles le meilleur. En tout cas, rassemblées dans ce livre, elles sont pour le lecteur la source de précieux enseignements sur l’histoire et la culture du Mali.

Car si Amkoullel, l’enfant peul peut se lire avant tout comme une belle histoire, entraînante, passionnante, avec peut-être çà et là les enjolivements ou les silences qui siéent à la vérité, il est impossible de ne pas y voir également une description – certes romancée mais tout aussi scientifique par le foisonnement de détails qu’elle contient – de la société dans laquelle elle s’inscrit. Une description qui n’est pas sans rappeler que son auteur était… ethnologue.

Tout y passe. Les valeurs de respect et de tolérance intrinsèques aux cultures peule, toucouleure ou encore bambara et dogon ; les liens que ces ethnies entretiennent entre elles – avec notamment la fameuse « parenté à plaisanterie » ; l’éducation des enfants, de la waaldé, association de jeunesse gérée de façon autonome et responsable par les enfants eux-mêmes, sur le modèle de l’organisation sociale qui régit le monde des adultes, à l’épreuve de la circoncision ; la cohabitation des pouvoirs traditionnels avec l’administration française ; celle des religions animistes et musulmane – tendance soufie…

Bref, on peut dire qu’Amkoullel, l’enfant peul est une véritable fresque historique, sociale et culturelle. Le tout incarné par une galerie de personnages touchants et pleins d’humanité, et narré avec légèreté voire malice. Fidèle, en somme, au précepte des maîtres maliens : « instruire en amusant ». Grand défenseur de la tradition orale africaine, Amadou Hampâté Bâ lui redonne ici ses lettres de noblesse – et c’est finalement un paradoxe – en couchant cet héritage sur le papier.

Une fois ce livre dévoré avec l’avidité qu’il ne manquera pas de susciter, deux choses : 1) On se sent moins bête. 2) On n’a plus qu’une envie : lire la suite.

Amkoullel, l’enfant peul
d’Amadou Hampâté Bâ
Actes Sud, 1991
409 p., 24,50 euros
en édition de poche Babel, 535 p., 10,40 euros


lundi 26 octobre 2009

Paroles de… Léonora Miano


La romancière camerounaise Léonora Miano a des choses à dire. Elle l’a montré samedi au cours d’une rencontre-débat au musée Dapper, où il était principalement question de son « nouveau » roman (ne dites pas « dernier », elle n’aime pas ça…), Les Aubes écarlates (Plon, 2009), qui aborde la question difficile de la traite négrière. L’auteure y a répondu pendant plus d’une heure, avec sérieux, franc-parler et un soupçon d’espièglerie, aux questions de l’animatrice du débat (Nathalie Carré) et à celles des nombreux spectateurs – dont quelques fans – présents dans l’auditorium. J’ai retranscrit certaines de ses réponses (ci-dessous).

Des choses à dire, donc, mais Léonora Miano le fait évidemment avant tout par écrit. Chacun de ses livres sonde l’identité de l’Afrique et les rapports, souvent complexes, que ses rejetons entretiennent avec le continent. L’Intérieur de la nuit (2005) dénonçait la barbarie qu’entraînent les guerres civiles ; Contours du jour qui vient (2006) évoquait l’impasse de l’avenir pour les jeunes générations en Afrique ; Tels des astres éteints (2008) déplaçait le regard sur la quête identitaire qui est celle de la diaspora afro-caribéenne en Europe.

Encore une fois, avec Les Aubes écarlates, Léonora Miano livre une œuvre métaphorique, crée des personnages et une histoire au service d’une quête spirituelle pleine de profondeur et de sensibilité et, si l’on en croit les réactions de l’auditoire du musée Dapper, aux vertus thérapeutiques : il s’agit de réconcilier l’Afrique avec elle-même.


« QUAND ON PARLE DE L'AFRIQUE... »
Où il est question du regard de l’autre, en particulier de l’Occident, sur un continent qui n’a pas encore cicatrisé des marques physiques et symboliques laissées par le colonialisme…

Léonora Miano :
« Quand on parle des conflits africains, on parle souvent de guerres fratricides. Mais il n’y a pas de guerre fratricide en Afrique plus qu’ailleurs. Toutes les guerres sont fratricides au sein d’une même humanité. Quand on parle de l’Afrique subsaharienne, on parle d’espaces qui ont été créés par d’autres, de frontières qui ont été créées par d’autres, de noms de pays qui ont été créés par d’autres.
« Par exemple, les différentes populations du Cameroun n’ont pas choisi d’avoir une destinée commune. Cette Afrique n’a que 50 ans d’âge. On ne va pas réussir en quelques décennies ce qui a pris des siècles pour l’Europe. En France, ça n’a pas été si évident, pour qu’aujourd’hui Bretons et Basques aient le sentiment d’appartenir à un même espace. Il faut du temps et on ne nous en laisse pas beaucoup. Nous devons apprendre à habiter ces espaces. Nous allons nous approprier ces espaces. »


« LA VOIX DES DISPARUS »
Dans Les Aubes écarlates, des passages donnent à entendre la voix de présences mystérieuses surgies du passé…

Léonora Miano : « Mon livre ne parle pas d’esclavage, mais de traite, laquelle fait à la fois partie de la mémoire afro-descendante et de la mémoire africaine. Ce qu’on y entend, c’est la voix de toutes les personnes qui ont péri pendant la traite négrière et n’ont pas de sépulture symbolique sur leur terre, pas de trace dans leur communauté.
« En Afrique, nous croyons aux esprits ; ici ce sont les esprits des disparus de la traite négrière. Il fallait leur donner une façon de parler qui ne soit pas la nôtre ; je les ai fait parler de manière poétique, grandiloquente, voire lyrique.
« Le lecteur entend ces voix mais pas les protagonistes du roman, qui vivent dans l’oubli du passé. J’ai donc introduit un personnage, apparu déjà à la fin de L’Intérieur de la nuit, qui sert de médiateur entre le monde des vivants et le monde des morts. »


« JE SOUFFRE DE CE SILENCE »
Quel discours sur la traite négrière en Afrique ?

Léonora Miano : « Ce roman est peut-être une première stèle, un premier mausolée pour les victimes de la traite. Ce retour aux sources et à soi n’est pas une sacralisation de la douleur, la traite n’est pas l’alpha et l’oméga de nos vies. Mais quelque chose en nous a sombré avec ces disparus. Je souffre de ce silence et j’aimerais qu’il soit levé. Il y a un discours sur la traite en Europe, il n’est pas possible qu’il n’y en ait pas en Afrique : c’est du domaine de l’incongruité. »



Les Aubes écarlates
de Léonora Miano
Plon, 2009
274 p., 18,90 euros



Pour finir,
il me faut dire quelques mots sur le prochain roman de Léonora Miano, qui y songe déjà sérieusement, en tout cas assez pour livrer quelques indices à ce sujet. On sait que la musique a une grande place dans son œuvre, autant dans la structuration des romans que dans leur inspiration. En l’occurrence, l’auteure a confié être « partie de la chanson Four Women de Nina Simone », pour un roman qui mettra en scène quatre femmes faisant partie, à des degrés divers, de l’existence d’un même homme : « Ce sera quelque chose de plus intime, de plus charnel. » A suivre…

dimanche 25 octobre 2009

Ananda Devi en lice pour le prix des Libraires 2010


La Fédération française des syndicats de libraires (FFSL) a dévoilé cette semaine sa première sélection pour la 56ème édition de son prix des Libraires, qui sera décerné en mars 2010.

Parmi les auteurs sélectionnés figure la romancière mauricienne Ananda Devi, avec Le Sari vert (Gallimard). Les autres livres retenus par le jury sont listés ici.

Présentation du Sari vert par l’éditeur :
Dans une maison de Curepipe, sur l'île Maurice, un vieux médecin à l'agonie est veillé par sa fille et par sa petite-fille. Entre elles et lui se tisse un dialogue d'une violence extrême, où affleurent progressivement des éléments du passé, des souvenirs, des reproches, et surtout la figure mystérieuse de la mère de Kitty, l'épouse du « Dokter-Dieu », qui a disparu dans des circonstances terribles. Elles ne le laisseront pas partir en paix.


Le Sari vert
d’Ananda Devi
Gallimard, 2009
214 p., 16,50 euros


Source : Prix-littéraires le blog

mardi 20 octobre 2009

Alain Mabanckou dans « XXI »


J’avais déjà très brièvement évoqué XXI ici et . La dernière livraison de cette excellente revue est disponible en kiosque – pardon, en librairie – depuis le 15 octobre, et je me dois d'en parler, d’une part parce que le dossier de ce numéro d’automne est intitulé « Bleu blanc noir, Quand les Africains prennent racine en France », d’autre part parce que l’écrivain congolais Alain Mabanckou y signe un sympathique texte, dans la rubrique « Vécu », relatant un épisode marquant de ses premières semaines en France, il y a dix-sept ans : « Le visage du Noir qui me courait après ».

XXI avait déjà ouvert ses pages « Vécu » – où une personnalité, le plus souvent un écrivain, narre un événement personnel ayant eu une incidence sur son œuvre ou en ayant été la conséquence – à Gilbert Gatore, à l’automne 2008, dans un numéro 4 dédié à des « destins d’Afrique ». Le romancier rwandais évoquait alors le trouble causé par la lecture d’un commentaire, sur Internet, suggérant que le père de l’auteur du Passé devant soi (Phébus, 2008) aurait fait partie des tueurs pendant le génocide de 1994.

Ici, l'anecdote racontée par Alain Mabanckou se situe en amont de ses romans « français », Bleu Blanc Rouge (Présence africaine, 1998) et Black Bazar (Seuil, 2009) : il se souvient comment, alors jeune étudiant en droit, il avait été coursé dans les couloirs du métro parisien par un contrôleur zélé. Un incident qui l’amènera au poste de police et, accessoirement, à l’envie de « dire des histoires » qui, entre autres, « évoqueraient inéluctablement l’ambiguïté du racisme entre les personnes de même couleur ».


Pour conclure sur une note plus journalistique que littéraire et vous mettre l’eau à la bouche, voici une brève présentation des articles qui constituent le dossier « Bleu blanc noir » du numéro 8 de XXI :

- « Le crayon de Dieu n’a pas de gomme. Souvenirs d’un missionnaire en brousse normande » : Jeune prêtre africain dont les ancêtres furent évangélisés par des missionnaires blancs, Borice avait des rêves plein la tête. Mais curé dans le bocage, c’est une autre histoire… Par Eric Lemasson

- « Au bonheur de la rue des Rigoles » : Il sont 1 700 petits entrepreneurs à se croiser tous les jours, ou presque, dans la même société de domiciliation, la moins chère et la plus grande de Paris. François, la patron, connaît sur le bout des doigts tout son petit monde. Par Hannelore Cayre

- « Terminus, station Collinée » : En plein cœur de la Bretagne, il est un hameau isolé où 10% de la population est d’origine malienne. Dans les années 1970, les parents sont venus nombreux travailler à l’abattoir de cochons. Leurs enfants ont grandi. Les voilà Bretons maliens. Par Zoé Lamazou

Bonne lecture !

lundi 19 octobre 2009

Rencontres littéraires au musée Dapper, à Paris


A vos agendas ! Samedi 24 octobre, le musée Dapper des arts de l’Afrique, des Caraïbes et de leurs diasporas entame une série de rencontres avec des écrivains africains et caribéens, intitulées « Paroles de… ».

Cela commence avec la romancière camerounaise Léonora Miano (photo), ce samedi, donc, à 15 heures. Des extraits de son dernier livre, Les Aubes écarlates (Plon, 2009), seront lus par la comédienne Léonie Simaga, pensionnaire de la Comédie-Française.

Le jeudi 5 novembre à 19 heures, ce sera au tour du Haïtien Lyonel Trouillot (Yanvalou pour Charlie, Actes Sud, 2009), puis, le samedi 12 décembre à 15 heures, du Djiboutien Abdourahman Waberi (Passage des larmes, JC Lattès, 2009). Pour ces deux auteurs, les lectures seront assurées par le comédien Paulin F. Fodouop.

Ces trois rencontres seront animées par Nathalie Carré.

Enfin, le mercredi 16 décembre à 19 heures, l’écrivain guadeloupéen Daniel Maximin présentera une soirée consacrée au Martiniquais Frantz Fanon (1925-1961) et à ses textes fondamentaux : Peau noire, masques blancs, Les Damnés de la Terre, Pour la révolution africaine, dont des extraits seront lus par Aliou Cissé et Paul Borne, comédiens.


Par ailleurs, des rencontres thématiques associant des écrivains africains auront également lieu très prochainement.

Ainsi, le samedi 31 octobre à 15 heures, dans le cadre d’un week-end consacré au thème « Des hommes dans la ville », le musée Dapper accueillera l’écrivain et réalisateur d’origine sénégalaise Mamadou Mahmoud N’Dongo (photo) dont le dernier roman, El Hadj (Le Serpent à plumes, 2008), nous fait arpenter les tours et détours d’une banlieue parisienne dont il est bien difficile de s’échapper. Le rappeur Rocé sera également présent lors de cette rencontre.

Pour finir, le samedi 28 novembre à 15 heures, dans le cadre d’un week-end dédié à l’univers de la Sape (Société des ambianceurs et des personnes élégantes), c’est bien sûr l’écrivain congolais Alain Mabanckou (Black Bazar, Seuil, 2009) qui est invité à s’entretenir avec Djo Balard, l’une des figures emblématiques de ce courant.

Plus de détails sur les week-ends thématiques du musée Dapper ici.

Et pour tous ces rendez-vous, l’entrée est libre mais la réservation conseillée !

Musée Dapper
35, rue Paul-Valéry – Paris-16ème
Tél. : 01 45 00 91 75