Blog consacré aux littératures africaine et caribéenne. En sommeil depuis octobre 2010.

samedi 31 octobre 2009

« Amkoullel, l’enfant peul », d’Amadou Hampâté Bâ


Ce livre n’est pas seulement un classique. C’est un témoignage exceptionnel sur l’Afrique de l’Ouest du début du XXème siècle, et plus particulièrement sur le Macina, une région du Mali (à cette époque intégré à la colonie du Haut-Sénégal-et-Niger) située dans la boucle du fleuve Niger. Amkoullel, l’enfant peul (1991) est le premier tome des mémoires d’Amadou Hampâté Bâ, avant Oui mon commandant ! (1994) : de 1900, année de sa naissance à Bandiagara, à 1921. Ou la jeunesse d’un « homme de connaissance » à la mémoire prodigieuse, doublé d’un formidable conteur à la plume sensible.

Mais pour faire un résumé de son enfance, le mieux est encore de lui laisser la parole :

« Chaque fois que mon existence commençait à s’engager sur une belle voie bien droite, le destin semblait s’amuser à lui donner une chiquenaude pour la faire basculer dans une direction totalement opposée, faisant régulièrement alterner des périodes de chance et de malchance. Cela commença bien avant ma naissance, avec mon père Hampâté, qui aurait dû (et ses enfants après lui) hériter d’une chefferie dans le pays du Fakala, et qui se retrouva, seul rescapé survivant de toute sa famille, réfugié anonyme au fond d’une boucherie. Réhabilité par le roi même qui avait fait massacrer tous les siens, voilà qu’il meurt trop tôt pour que je le connaisse vraiment et que le sort fait de moi un petit orphelin de trois ans. Un riche et noble chef de province vient-il à épouser ma mère et à m’adopter comme héritier et fils présomptif, faisant planer au-dessus de ma tête le turban des chefs de Louta ? Patatras ! Nous nous retrouvons tous en exil et me voilà fils de bagnard. Enfin revenus à Bandiagara où la vie semble reprendre son cours normal, voilà que l’on m’arrache brutalement à mes occupations traditionnelles, qui m’auraient sans doute dirigé vers une carrière classique de marabout-enseignant, pour m’envoyer d’office à l’école des Blancs, alors considérée par la masse musulmane comme la voie la plus directe pour aller en enfer ! »
(pp. 307-308, collection Babel)

Encore ne sont-ce que les premières années d’un destin décidément mouvementé, et tellement riche ! D’ascendance peule et toucouleure ; ayant vécu à Bandiagara, Bougouni, Djenné, Kati, Bamako ; ayant fréquenté les écoles coranique et républicaine tout comme les « marabouts-enseignants »… le jeune Ahmadou Hampâté Bâ a vécu de nombreuses expériences et a su tirer de chacune d’entre elles le meilleur. En tout cas, rassemblées dans ce livre, elles sont pour le lecteur la source de précieux enseignements sur l’histoire et la culture du Mali.

Car si Amkoullel, l’enfant peul peut se lire avant tout comme une belle histoire, entraînante, passionnante, avec peut-être çà et là les enjolivements ou les silences qui siéent à la vérité, il est impossible de ne pas y voir également une description – certes romancée mais tout aussi scientifique par le foisonnement de détails qu’elle contient – de la société dans laquelle elle s’inscrit. Une description qui n’est pas sans rappeler que son auteur était… ethnologue.

Tout y passe. Les valeurs de respect et de tolérance intrinsèques aux cultures peule, toucouleure ou encore bambara et dogon ; les liens que ces ethnies entretiennent entre elles – avec notamment la fameuse « parenté à plaisanterie » ; l’éducation des enfants, de la waaldé, association de jeunesse gérée de façon autonome et responsable par les enfants eux-mêmes, sur le modèle de l’organisation sociale qui régit le monde des adultes, à l’épreuve de la circoncision ; la cohabitation des pouvoirs traditionnels avec l’administration française ; celle des religions animistes et musulmane – tendance soufie…

Bref, on peut dire qu’Amkoullel, l’enfant peul est une véritable fresque historique, sociale et culturelle. Le tout incarné par une galerie de personnages touchants et pleins d’humanité, et narré avec légèreté voire malice. Fidèle, en somme, au précepte des maîtres maliens : « instruire en amusant ». Grand défenseur de la tradition orale africaine, Amadou Hampâté Bâ lui redonne ici ses lettres de noblesse – et c’est finalement un paradoxe – en couchant cet héritage sur le papier.

Une fois ce livre dévoré avec l’avidité qu’il ne manquera pas de susciter, deux choses : 1) On se sent moins bête. 2) On n’a plus qu’une envie : lire la suite.

Amkoullel, l’enfant peul
d’Amadou Hampâté Bâ
Actes Sud, 1991
409 p., 24,50 euros
en édition de poche Babel, 535 p., 10,40 euros


lundi 26 octobre 2009

Paroles de… Léonora Miano


La romancière camerounaise Léonora Miano a des choses à dire. Elle l’a montré samedi au cours d’une rencontre-débat au musée Dapper, où il était principalement question de son « nouveau » roman (ne dites pas « dernier », elle n’aime pas ça…), Les Aubes écarlates (Plon, 2009), qui aborde la question difficile de la traite négrière. L’auteure y a répondu pendant plus d’une heure, avec sérieux, franc-parler et un soupçon d’espièglerie, aux questions de l’animatrice du débat (Nathalie Carré) et à celles des nombreux spectateurs – dont quelques fans – présents dans l’auditorium. J’ai retranscrit certaines de ses réponses (ci-dessous).

Des choses à dire, donc, mais Léonora Miano le fait évidemment avant tout par écrit. Chacun de ses livres sonde l’identité de l’Afrique et les rapports, souvent complexes, que ses rejetons entretiennent avec le continent. L’Intérieur de la nuit (2005) dénonçait la barbarie qu’entraînent les guerres civiles ; Contours du jour qui vient (2006) évoquait l’impasse de l’avenir pour les jeunes générations en Afrique ; Tels des astres éteints (2008) déplaçait le regard sur la quête identitaire qui est celle de la diaspora afro-caribéenne en Europe.

Encore une fois, avec Les Aubes écarlates, Léonora Miano livre une œuvre métaphorique, crée des personnages et une histoire au service d’une quête spirituelle pleine de profondeur et de sensibilité et, si l’on en croit les réactions de l’auditoire du musée Dapper, aux vertus thérapeutiques : il s’agit de réconcilier l’Afrique avec elle-même.


« QUAND ON PARLE DE L'AFRIQUE... »
Où il est question du regard de l’autre, en particulier de l’Occident, sur un continent qui n’a pas encore cicatrisé des marques physiques et symboliques laissées par le colonialisme…

Léonora Miano :
« Quand on parle des conflits africains, on parle souvent de guerres fratricides. Mais il n’y a pas de guerre fratricide en Afrique plus qu’ailleurs. Toutes les guerres sont fratricides au sein d’une même humanité. Quand on parle de l’Afrique subsaharienne, on parle d’espaces qui ont été créés par d’autres, de frontières qui ont été créées par d’autres, de noms de pays qui ont été créés par d’autres.
« Par exemple, les différentes populations du Cameroun n’ont pas choisi d’avoir une destinée commune. Cette Afrique n’a que 50 ans d’âge. On ne va pas réussir en quelques décennies ce qui a pris des siècles pour l’Europe. En France, ça n’a pas été si évident, pour qu’aujourd’hui Bretons et Basques aient le sentiment d’appartenir à un même espace. Il faut du temps et on ne nous en laisse pas beaucoup. Nous devons apprendre à habiter ces espaces. Nous allons nous approprier ces espaces. »


« LA VOIX DES DISPARUS »
Dans Les Aubes écarlates, des passages donnent à entendre la voix de présences mystérieuses surgies du passé…

Léonora Miano : « Mon livre ne parle pas d’esclavage, mais de traite, laquelle fait à la fois partie de la mémoire afro-descendante et de la mémoire africaine. Ce qu’on y entend, c’est la voix de toutes les personnes qui ont péri pendant la traite négrière et n’ont pas de sépulture symbolique sur leur terre, pas de trace dans leur communauté.
« En Afrique, nous croyons aux esprits ; ici ce sont les esprits des disparus de la traite négrière. Il fallait leur donner une façon de parler qui ne soit pas la nôtre ; je les ai fait parler de manière poétique, grandiloquente, voire lyrique.
« Le lecteur entend ces voix mais pas les protagonistes du roman, qui vivent dans l’oubli du passé. J’ai donc introduit un personnage, apparu déjà à la fin de L’Intérieur de la nuit, qui sert de médiateur entre le monde des vivants et le monde des morts. »


« JE SOUFFRE DE CE SILENCE »
Quel discours sur la traite négrière en Afrique ?

Léonora Miano : « Ce roman est peut-être une première stèle, un premier mausolée pour les victimes de la traite. Ce retour aux sources et à soi n’est pas une sacralisation de la douleur, la traite n’est pas l’alpha et l’oméga de nos vies. Mais quelque chose en nous a sombré avec ces disparus. Je souffre de ce silence et j’aimerais qu’il soit levé. Il y a un discours sur la traite en Europe, il n’est pas possible qu’il n’y en ait pas en Afrique : c’est du domaine de l’incongruité. »



Les Aubes écarlates
de Léonora Miano
Plon, 2009
274 p., 18,90 euros



Pour finir,
il me faut dire quelques mots sur le prochain roman de Léonora Miano, qui y songe déjà sérieusement, en tout cas assez pour livrer quelques indices à ce sujet. On sait que la musique a une grande place dans son œuvre, autant dans la structuration des romans que dans leur inspiration. En l’occurrence, l’auteure a confié être « partie de la chanson Four Women de Nina Simone », pour un roman qui mettra en scène quatre femmes faisant partie, à des degrés divers, de l’existence d’un même homme : « Ce sera quelque chose de plus intime, de plus charnel. » A suivre…

dimanche 25 octobre 2009

Ananda Devi en lice pour le prix des Libraires 2010


La Fédération française des syndicats de libraires (FFSL) a dévoilé cette semaine sa première sélection pour la 56ème édition de son prix des Libraires, qui sera décerné en mars 2010.

Parmi les auteurs sélectionnés figure la romancière mauricienne Ananda Devi, avec Le Sari vert (Gallimard). Les autres livres retenus par le jury sont listés ici.

Présentation du Sari vert par l’éditeur :
Dans une maison de Curepipe, sur l'île Maurice, un vieux médecin à l'agonie est veillé par sa fille et par sa petite-fille. Entre elles et lui se tisse un dialogue d'une violence extrême, où affleurent progressivement des éléments du passé, des souvenirs, des reproches, et surtout la figure mystérieuse de la mère de Kitty, l'épouse du « Dokter-Dieu », qui a disparu dans des circonstances terribles. Elles ne le laisseront pas partir en paix.


Le Sari vert
d’Ananda Devi
Gallimard, 2009
214 p., 16,50 euros


Source : Prix-littéraires le blog

mardi 20 octobre 2009

Alain Mabanckou dans « XXI »


J’avais déjà très brièvement évoqué XXI ici et . La dernière livraison de cette excellente revue est disponible en kiosque – pardon, en librairie – depuis le 15 octobre, et je me dois d'en parler, d’une part parce que le dossier de ce numéro d’automne est intitulé « Bleu blanc noir, Quand les Africains prennent racine en France », d’autre part parce que l’écrivain congolais Alain Mabanckou y signe un sympathique texte, dans la rubrique « Vécu », relatant un épisode marquant de ses premières semaines en France, il y a dix-sept ans : « Le visage du Noir qui me courait après ».

XXI avait déjà ouvert ses pages « Vécu » – où une personnalité, le plus souvent un écrivain, narre un événement personnel ayant eu une incidence sur son œuvre ou en ayant été la conséquence – à Gilbert Gatore, à l’automne 2008, dans un numéro 4 dédié à des « destins d’Afrique ». Le romancier rwandais évoquait alors le trouble causé par la lecture d’un commentaire, sur Internet, suggérant que le père de l’auteur du Passé devant soi (Phébus, 2008) aurait fait partie des tueurs pendant le génocide de 1994.

Ici, l'anecdote racontée par Alain Mabanckou se situe en amont de ses romans « français », Bleu Blanc Rouge (Présence africaine, 1998) et Black Bazar (Seuil, 2009) : il se souvient comment, alors jeune étudiant en droit, il avait été coursé dans les couloirs du métro parisien par un contrôleur zélé. Un incident qui l’amènera au poste de police et, accessoirement, à l’envie de « dire des histoires » qui, entre autres, « évoqueraient inéluctablement l’ambiguïté du racisme entre les personnes de même couleur ».


Pour conclure sur une note plus journalistique que littéraire et vous mettre l’eau à la bouche, voici une brève présentation des articles qui constituent le dossier « Bleu blanc noir » du numéro 8 de XXI :

- « Le crayon de Dieu n’a pas de gomme. Souvenirs d’un missionnaire en brousse normande » : Jeune prêtre africain dont les ancêtres furent évangélisés par des missionnaires blancs, Borice avait des rêves plein la tête. Mais curé dans le bocage, c’est une autre histoire… Par Eric Lemasson

- « Au bonheur de la rue des Rigoles » : Il sont 1 700 petits entrepreneurs à se croiser tous les jours, ou presque, dans la même société de domiciliation, la moins chère et la plus grande de Paris. François, la patron, connaît sur le bout des doigts tout son petit monde. Par Hannelore Cayre

- « Terminus, station Collinée » : En plein cœur de la Bretagne, il est un hameau isolé où 10% de la population est d’origine malienne. Dans les années 1970, les parents sont venus nombreux travailler à l’abattoir de cochons. Leurs enfants ont grandi. Les voilà Bretons maliens. Par Zoé Lamazou

Bonne lecture !

lundi 19 octobre 2009

Rencontres littéraires au musée Dapper, à Paris


A vos agendas ! Samedi 24 octobre, le musée Dapper des arts de l’Afrique, des Caraïbes et de leurs diasporas entame une série de rencontres avec des écrivains africains et caribéens, intitulées « Paroles de… ».

Cela commence avec la romancière camerounaise Léonora Miano (photo), ce samedi, donc, à 15 heures. Des extraits de son dernier livre, Les Aubes écarlates (Plon, 2009), seront lus par la comédienne Léonie Simaga, pensionnaire de la Comédie-Française.

Le jeudi 5 novembre à 19 heures, ce sera au tour du Haïtien Lyonel Trouillot (Yanvalou pour Charlie, Actes Sud, 2009), puis, le samedi 12 décembre à 15 heures, du Djiboutien Abdourahman Waberi (Passage des larmes, JC Lattès, 2009). Pour ces deux auteurs, les lectures seront assurées par le comédien Paulin F. Fodouop.

Ces trois rencontres seront animées par Nathalie Carré.

Enfin, le mercredi 16 décembre à 19 heures, l’écrivain guadeloupéen Daniel Maximin présentera une soirée consacrée au Martiniquais Frantz Fanon (1925-1961) et à ses textes fondamentaux : Peau noire, masques blancs, Les Damnés de la Terre, Pour la révolution africaine, dont des extraits seront lus par Aliou Cissé et Paul Borne, comédiens.


Par ailleurs, des rencontres thématiques associant des écrivains africains auront également lieu très prochainement.

Ainsi, le samedi 31 octobre à 15 heures, dans le cadre d’un week-end consacré au thème « Des hommes dans la ville », le musée Dapper accueillera l’écrivain et réalisateur d’origine sénégalaise Mamadou Mahmoud N’Dongo (photo) dont le dernier roman, El Hadj (Le Serpent à plumes, 2008), nous fait arpenter les tours et détours d’une banlieue parisienne dont il est bien difficile de s’échapper. Le rappeur Rocé sera également présent lors de cette rencontre.

Pour finir, le samedi 28 novembre à 15 heures, dans le cadre d’un week-end dédié à l’univers de la Sape (Société des ambianceurs et des personnes élégantes), c’est bien sûr l’écrivain congolais Alain Mabanckou (Black Bazar, Seuil, 2009) qui est invité à s’entretenir avec Djo Balard, l’une des figures emblématiques de ce courant.

Plus de détails sur les week-ends thématiques du musée Dapper ici.

Et pour tous ces rendez-vous, l’entrée est libre mais la réservation conseillée !

Musée Dapper
35, rue Paul-Valéry – Paris-16ème
Tél. : 01 45 00 91 75


jeudi 15 octobre 2009

Léonora Miano : « Je voulais écrire une immense saga »


A l’occasion de la rentrée littéraire, Léonora Miano a parlé à TéléTOC de son enfance et de son dernier roman, Les Aubes écarlates, ultime volet venant clore une trilogie commencée avec L'Intérieur de la nuit (2005) et Contours du jours qui vient (2006). Un reportage de Caroline Talent et de Florent Rodo.


leonora miano
envoyé par teleTOC. - Regardez plus de courts métrages.

jeudi 8 octobre 2009

Chimamanda Ngozi Adichie


Chimamanda Ngozi Adichie est née en 1977 à Enugu, au Nigeria, mais elle a grandi dans la ville universitaire de Nsukka, au sein d’une famille de six enfants. Son père travaillait comme professeur de statistiques et sa mère comme responsable des inscriptions à l’université.

Après ses études secondaires, elle entreprend des études de médecine et de pharmacie avant de s’envoler aux Etats-Unis, à l’âge de 19 ans, grâce à une bourse qui lui permet de s’inscrire en communication à Philadelphie, puis en sciences politiques dans le Connecticut, où elle obtient son diplôme avec la mention Très bien. Elle poursuit ses études avec un master en techniques de l’écriture à Baltimore, avant de s’inscrire dans le département d’études africaines de l’université de Yale.

Parallèlement à ses études, Chimamanda Ngozi Adichie publie plusieurs nouvelles très remarquées dans des revues littéraires et commence la rédaction de son premier roman, L’Hibiscus pourpre. Publié en 2003, il est proclamé meilleur premier livre par le Commonwealth Writer’s Prize. Son second roman, L’Autre Moitié du soleil (2006), dont l’histoire se déroule pendant la guerre du Biafra, obtient le prix Orange 2007, l’un des plus prestigieux prix littéraires britanniques. Un recueil de nouvelles intitulé The Thing Around Your Neck est paru en 2009. On espère une très prochaine traduction en français.

Aujourd’hui, Chimamanda Ngozi Adichie vit entre le Nigeria et les Etats-Unis.

A lire (éditions françaises) :
L’Hibiscus pourpre, éditions Anne Carrière, 2004
L’Autre Moitié du soleil, Gallimard, 2008


Sources : AfricanSuccess, Fluctuat

lundi 5 octobre 2009

Sélection des prix France Télévisions et RFI Témoin du monde


Les médias aussi ont leurs prix littéraires.
La semaine dernière, les jurys de France Télévisions et de RFI ont dévoilé la liste des romans sélectionnés.

Pour le prix France Télévisions, il me faut citer Dany Laferrière (Haïti), avec L’Enigme du retour (Grasset), et Marie Ndiaye (France), avec Trois femmes puissantes (Gallimard). Le prix sera remis le 19 novembre.

Pour le prix RFI Témoin du monde, Omri Teg’Amlak Avera (Ethiopie), avec Asteraï (Actes Sud) et Lyonel Trouillot (Haïti), avec Yanvalou pour Charlie (Actes Sud). Le prix sera remis le 18 novembre.


Actualisation de 19 novembre 2009 : Finalement, le prix RFI Témoin du monde a été attribué à l'écrivain anglais Rory Stewart pour son essai En Afghanistan (Albin Michel, 2009) ; le prix France Télévisions a été attribué à Véronique Ovaldé pour Ce que je sais de Vera Candida (L'Olivier, 2009).


L’Enigme du retour
de Dany Laferrière
Grasset, 2009
300 p., 18 euros


Présentation de l’éditeur :
On retrouve dans ce livre le personnage de l'écrivain qui ne fait apparemment rien que prendre des bains dans son appartement à Montréal. Un matin, on lui téléphone : son père vient de mourir. Son père qui avait été exilé d'Haïti par le dictateur Papa Doc, comme le narrateur, des années plus tard, l'avait été par son fils, le non moins dictatorial Bébé Doc. C'est l'occasion pour lui d'un voyage initiatique à rebours. Il part d'abord vers le Nord, comme s'il voulait paradoxalement fuir son passé, puis gagne Haïti pour les funérailles de son père. Accompagné d'un neveu, il parcourt son île natale dans un périple doux et grave, rêveur et plein de charme, qui le mène sur les traces de son passé, de ses origines. Mais revient-on jamais chez soi ?


Trois femmes puissantes
de Marie Ndiaye
Gallimard, 2009
316 p., 19 euros


Présentation de l’éditeur :
Trois récits, trois femmes qui disent non. Elles s’appellent Norah, Fanta, Khady Demba. Chacune se bat pour préserver sa dignité contre les humiliations que la vie lui inflige avec une obstination méthodique et incompréhensible.





Asteraï
d’Omri Teg’Amlak Avera
traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech
Actes Sud, 2009
280 p., 22 euros


Présentation de l’éditeur :
Petgu, enfant des montagnes du Gondar, vit dans son village natal en harmonie avec la nature, ses chèvres et les siens, les Beita Israël, tribu juive perdue d'Ethiopie, descendante de la reine de Saba. Nourri des récits initiatiques de sa grand-mère, le petit berger apprend à apprivoiser les démons, à pénétrer le monde caché, et se découvre une relation intime unique avec Asteraï, l'oiseau magique qui protège et guide sa communauté. Un lien précieux qui s'avère vital quand la tribu décide de se mettre en route à travers le désert pour « rentrer » à Jérusalem, terre promise et espérée depuis des millénaires. Car, des camps de réfugiés du Soudan à l'arrivée en Israël, commence alors une épopée brutale qui va broyer la sérénité et la candeur de Petgu. Pour survivre, il lui faudra puiser force et foi dans sa culture ancestrale.


Yanvalou pour Charlie
de Lyonel Trouillot
Actes Sud, 2009
176 p., 18 euros


Présentation de l’éditeur :
Au prix du cynisme, Mathurin D. Saint-Fort a cru pouvoir effacer de sa mémoire les souffrances d'un passé qu'il s'emploie à renier pour se placer toujours davantage du bon côté de l'existence. Jusqu'au jour où fait irruption dans la vie de l'avocat ambitieux qu'il est devenu, un adolescent loqueteux. Charlie, en absolue détresse, vient lui demander de l'aide au nom des attachements de jadis.




Dany Laferrière
est également sélectionné pour le Femina et le Médicis, Marie Ndiaye pour le Goncourt, et Lyonel Trouillot pour le Wepler-Fondation La Poste.

Lire la liste des sélections des prix France Télévisions et RFI Témoin du monde.

dimanche 4 octobre 2009

Paroles d’écrivains haïtiens


Ce week-end, Le Monde des livres, le supplément littéraire du quotidien Le Monde, organisait des rencontres-débats avec des auteurs phares de la rentrée littéraire.

Samedi à 10 heures, ce sont les écrivains haïtiens Lyonel Trouillot (Yanvalou pour Charlie, Actes Sud) et Dany Laferrière (L’Enigme du retour, Grasset), accompagnés de Patrick Besson (Mais le fleuve tuera l’homme blanc, Fayard), qui ont ouvert le bal dans l’auditorium du 80 boulevard Auguste-Blanqui. Interrogés par Robert Solé, le directeur du Monde des livres, ils ont échangé sur le thème « Chez soi, chez les autres : la littérature incarnée ».

Je m’étais invité dans le public. Et, revenu chez moi avec un carnet de notes bien rempli, j’ai essayé de dégager les grandes lignes de ce qui s’était dit. Voici donc, rassemblées par thèmes, quelques bribes de paroles de deux grands écrivains haïtiens.


« NOUS SOMMES TOUS DES EXILES »
L’Enigme du retour et Yanvalou pour Charlie se situent tous deux en Haïti. Mais leurs auteurs ne posent pas forcément le même regard sur l’île, puisque l’un – Dany Laferrière – est exilé à Montréal depuis 1976, tandis que l’autre – Lyonel Trouillot – y réside.

Lyonel Trouillot : « Il est difficile de présenter un pays en quelques mots. Aujourd’hui en Haïti il y a un Parlement, un président élu. Mais la révolution a été volée aux fils des anciens esclaves par une élite corrompue, et il reste des inégalités criantes. Mais en même temps, il y a une plus grande liberté d’expression. Avant, au sein de la littérature haïtienne, tout le monde voulait parler à l’unisson. Aujourd’hui on a plus de choix, plus d’individualités qui s’affirment. »

Dany Laferrière : « Je ne connais pas d’écrivain qui ne soit pas de l’exil et de la mémoire. C’est beaucoup donner aux écrivains du Tiers-Monde que de leur attribuer cette identité : un cadeau empoisonné qui nous ramène toujours à notre origine. Nous sommes tous exilés non d’un endroit, mais d’un temps donné. Dans mon cas précis, je suis complètement exilé de mon enfance : une enfance totalement organisée, avec un bonheur que tout le monde m’envie ; mon père ayant été exilé, il a fallu me cacher, donc on m’a envoyé chez ma grand-mère qui a tout fait pour me dissimuler cette violence. J’étais hors du temps, hors d’Haïti. »

Lyonel Trouillot : « C'est la situation dans laquelle est plongée le pays qui est violente, pas le pays en lui-même. Si on ne comprend pas ça à la lecture de mes livres, c’est peut-être que je suis un mauvais écrivain… Je ne banalise pas la violence, mais ce n’est pas un pays où il coule plus de sang qu’ailleurs : il y a par exemple moins de violence criminelle en Haïti qu’en République dominicaine, où de nombreux Français partent en vacances… »


« VOLEURS D’IMAGINAIRE »
Le vécu, l’expérience de Haïti qu’a chacun des deux écrivains étant différents, la façon de procéder dans l’écriture aussi. Mais tout est affaire de distance, et d’un bon dosage entre le réel et l’imaginaire…

Dany Laferrière : « Je suis une caméra qui filme. Lors de mon séjour en Haïti, j’avais avec moi un carnet de notes, comme toujours : c’est lui l’auteur de ce livre. Je suis exilé, je ne peux pas rattraper le temps perdu, le temps que Lyonel passe en Haïti. Je vais donc mitrailler et, rentré à Montréal, je vais regarder mes notes pour voir s’il y a un enchaînement d’événements qui mènent à l’origine d’une histoire. »

Lyonel Trouillot : « En Haïti, le pays des riches vit dans l’indifférence méprisante et inacceptable du pays des pauvres. Dans mon livre, toutes les situations et les phrases du monde des riches sont des choses que j’ai pu observer ou entendre. En ce qui concerne le monde des pauvres, je me suis au contraire servi de mon imagination pour donner une voix à ceux que l’on n’entend pas, ceux qui ne parlent pas. »

Dany Laferrière : « Dans mes livres, c’est quand l’histoire paraît le plus plausible qu’elle s’écarte le plus de la réalité que j’ai vécue. Mais la réalité imaginaire est aussi vraie, tissée de mon quotidien, que ma vraie vie. C’est mon imaginaire qui me fait me lever chaque jour. Je rêve avec mon imaginaire et celui de mes amis, je suis un voleur d’imaginaire : quand on me raconte une histoire, je la fais mienne. Le roman est un lieu idéal pour les audaces. »


« NOUS NE SOMMES PAS PRISONNIERS DU ROMAN »
Sur la forme, les livres de Laferrière et de Trouillot sont très particuliers. L’Enigme du retour contient ainsi de nombreux passages en vers libres, tandis que Yanvalou pour Charlie ne connaît pas le retour à la ligne, chaque chapitre étant un seul paragraphe, un long « tunnel »…

Lyonel Trouillot : « Haïti, c’est le règne du poète. Et le livre de Dany, L’Enigme du retour, c’est le retour de la tradition poétique haïtienne. Nous sommes des lecteurs de l’universel, nous ne sommes pas prisonniers du roman. Il y a une dictature du roman dans la littérature occidentale et sur ce point, nous effectuons un petit travail de subversion. Dans mon livre, la question du rythme est fondamentale. Je donne la voix à des personnages qui ont leur propre rythme, je m’arrête au moment où celui qui parle s’essouffle, la question du chapitre ou du paragraphe ne se pose pas. »

Dany Laferrière : « Le roman a pris son essor et sa force à cause du tirage et du lectorat. Mais un recueil de poèmes peut être lu par 30 personnes seulement ! Le poète ne pense pas du tout au tirage. La poésie est une sorte d’hygiène de l’âme. Le poète n’a pas besoin d’être lu mais d’être considéré comme un poète. Avec les « tunnels » de Lyonel, on rentre dans la tête d’un personnage, puis d’un autre. L’idée du lectorat n’existe pas, on a donc une totale liberté d’écriture. »


« CE NE SONT PAS LES MOTS QUI FONT UNE LANGUE »
Français ou créole ? Pour les deux écrivains, le choix de la langue est moins dicté par la recherche de lecteurs que par la nature du texte…

Lyonel Trouillot : « Nous ne sommes pas en quête de lectorat. Dany écrit en français, mais l’écrivain haïtien a la liberté d’écrire en français comme en créole ! Pas besoin de mettre une sauce piquante ! Ce sont les textes qui commandent la langue dans laquelle ils sont écrits. »

Dany Laferrière : Pour mon livre Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer[1985], j’ai dit : « Pour la traduction en anglais, ça va être facile : c’est un roman américain, seuls les mots sont en français. » Ce ne sont pas les mots qui font une langue. J’écris en français dans toutes les langues : en anglais, en créole, en français, et même en japonais ! » [Dany Laferrière a écrit un livre intitulé Je suis un écrivain japonais, paru en 2008.]