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mercredi 13 juin 2012

« Le Marchand de passés », de José Eduardo Agualusa



Jamais le gecko
qui symbolise les éditions Métailié n'aura aussi bien trouvé sa place, même discrète, que sur la première de couverture du Marchand de passés (2006), de l'écrivain angolais José Eduardo Agualusa. De fait, on retrouve le lézard dans chaque page du roman. Agrippé au mur d'une maison de Luanda, il nous raconte tout ce qu'il observe chez Félix Ventura, bouquiniste albinos aux étranges activités : « Un homme qui trafiquait les souvenirs, qui vendait le passé, secrètement, comme d'autres font de la contrebande de cocaïne », nous explique le reptile qui, dans une vie antérieure, était lui-même un homme...

Du passé, on s'en doutait eu égard au titre, il est beaucoup question dans ce livre. Et, par conséquent, de l'identité, dont il est un élément inaliénable et intangible. Quoique... Justement, les clients de Félix Ventura, personnalités haut placées dont le présent est éclatant, l'avenir généralement assuré, viennent se procurer chez lui des ancêtres illustres, des parchemins, bref, « un nom qui évoque la noblesse et la culture ». D'abord aux yeux du monde, puis, la mémoire humaine se nourrissant dans une large mesure « de ce que les autres se rappellent de nous », estime l'auteur, les mystificateurs se prennent au jeu, commencent à croire à leur propre histoire, celle qui leur a été taillée sur mesure en fonction de leurs frustrations et fantasmes. Jusqu'à ce que des fantômes du passé, du vrai cette fois-ci, resurgissent, faisant s'écrouler l'édifice de souvenirs fictifs sur lequel ils comptaient fonder leur existence.

On l'a compris : à la composante immuable de l'identité que représente le passé s'ajoute, selon le romancier angolais, celle, plus fluctuante et plus subjective, de la mémoire, soumise aux œillères de la volonté, à l'aveuglement de l'inconscient – deux personnages du roman, photographes, symbolisent cette mémoire « cadrée ». Enfin, troisième dimension, plus intime, de l'identité : le rêve, monde parallèle dans lequel le gecko narrateur s'imagine, se revoit même, homme. L'écriture de José Eduardo Agualusa est elle-même teintée d'accents oniriques qui ne sont pas sans rappeler la prose d'un autre écrivain africain, blanc et lusophone : le Mozambicain Mia Couto, auteur notamment du Fil des missangas les deux hommes de lettres ont d'ailleurs travaillé ensemble sur deux pièces de théâtre.

Passé et présent, mémoire et rêve, réalité et fiction... On est là au cœur des vents contraires qui soufflent sur la littérature : Le Marchand de passés, au final, n'est-il pas une fable sur la magie de l'écriture ? Le bouquiniste faussaire le reconnaît lui-même : « Moi aussi je crée des intrigues, j'invente des personnages, mais au lieu de les garder prisonniers dans un livre je leur donne vie, je les jette dans la réalité. »

Le Marchand de passés

Titre original : O Vendedor de passados (2004)
de José Eduardo Agualusa
Traduit du portugais (Angola) par Cécile Lombard
Métailié, 2006
131 p., 15,50 euros



Du même auteur (œuvres traduites en français) :
- La Saison des fous, Gallimard, 2003
- La Guerre des anges, Métailié, 2007
- Les Femmes de mon père, Métailié, 2009
- Barroco tropical, Métailié, 2011