Blog consacré aux littératures africaine et caribéenne. En sommeil depuis octobre 2010.

samedi 24 avril 2010

« Le Pauvre Christ de Bomba », de Mongo Béti


Je continue d'alterner classiques, nouveautés et « découvertes ». Le Pauvre Christ de Bomba (1956), de l'écrivain camerounais Mongo Béti, est clairement à classer dans la première catégorie. C'est un pilier de la littérature africaine. Paru à la même époque que L'Enfant noir (1953), de Camara Laye, c'est-à-dire dans la décennie précédant les indépendances, ce roman décrit lui aussi la présence française en Afrique... mais avec un regard beaucoup plus acerbe. Les deux écrivains ne manqueront d'ailleurs pas d'afficher leurs désaccords sur ce point.

Dans Le Pauvre Christ de Bomba, Mongo Béti entre dans le vif du sujet en s'attachant à suivre un missionnaire en tournée dans l'est du Cameroun. Provençal régissant d'une main de fer, depuis vingt ans, la mission de Bomba, le Révérend Père Supérieur Drumont – que tout le monde appelle simplement « RPS » – entreprend de rendre visite aux habitants du pays des Tala ; « ce royaume de Satan, ce vrai Sodome et Gomorrhe », dixit Denis, le boy-enfant de choeur qui l'accompagne et qui narre par le détail les péripéties de cette tournée. Il faut dire que le RPS, pour punir ces croyants aux moeurs païennes – avec, en tête, la polygamie –, ne les a pas « honorés » de sa présence trois années durant...

Le voilà donc qui, flanqué de Denis et de son cuisinier Zacharie, prend la route, à vélo, abandonnant pour un temps la mission et la « sixa » ou vivent et travaillent les femmes chrétiennes avant leur mariage. Le trio ira de déconvenue en déconvenue, le doute assaillera bientôt le RPS devant le peu de foi dont témoignent ses « fidèles ». Quant à Denis, adolescent fasciné par l'aura de sainteté qui, à ses yeux, émane du RPS, il découvrira des plaisirs qu'il n'est pas bon de confesser...

Ce qui frappe d'abord dans ce roman et le rend si captivant, c'est la force du personnage principal. Le RPS Drumont est un véritable héros littéraire, haut en couleurs, mais surtout en nuances... Mongo Béti nous prévient d'ailleurs dès le début, avec un certain cynisme : « De mémoire d'Africain, il n'y a jamais eu de Révérend Père Supérieur Drumont ; il n'y en aura probablement jamais, autant du moins que je connaisse mon Afrique natale : ce serait trop beau. » Car, on le découvre petit à petit, le RPS Drumont, que la foi rend parfois aveugle, n'en est pas moins une représentation idéale de l'humanisme occidental. Même quand il emploie la manière forte, il croit profondément oeuvrer pour le bien. Sévère et naïf, il refuse cependant que la construction d'une nouvelle route, en asservissant les indigènes pour leur plus grand malheur, contribue à les rapprocher de Dieu...

Autre personnage clé du roman, le cuisinier, Zacharie, est à mi-chemin entre l'ange gardien et la mauvaise conscience du RPS. Chrétien peu convaincu, incorrigible rossard, il s'enrichit – et séduit – sur le dos du RPS tout en bénéficiant de son indulgence. Le religieux ne semble d'ailleurs le conserver auprès de lui que pour son franc-parler : Zacharie ne prend pas de pincettes pour critiquer l'action du RPS, lequel, feignant de l'ignorer, en tire en fait de nombreuses instructions.

La tournée du RPS se solde par un cuisant échec, qui dépasse tout ce qu'il avait pu imaginer. Et sous la plume de Mongo Béti, cet échec est, plus que celui de l'évangélisation – aujourd'hui, l'Afrique subsaharienne compte 57 % de chrétiens –, celui d'un colonialisme à bout de souffle, mélange de fausses bonnes intentions et d'asservissement, mission prétendument civilisatrice reposant sur le couple infernal de la carotte et du bâton. L'écrivain semble même pressentir les indépendances quand il met en scène un RPS abattu, désabusé, évoquant son possible retour en France après tant d'années passées à essayer de bâtir quelque chose en Afrique. Quelque chose dont, hélas pour lui, les autochtones ne veulent pas et qu'ils font mine d'accepter, sans y adhérer vraiment pour beaucoup d'entre eux, sachant que cela ne durera pas.

Le Pauvre Christ de Bomba
de Mongo Béti
Laffont, 1956
réédition Présence africaine, 349 p., 8,90 euros

jeudi 22 avril 2010

Les nouveautés du premier trimestre 2010


Au rythme d'un bouquin par mois,
je propose à qui voudrait s'initier à la littérature africaine (et antillaise) contemporaine de tenir jusqu'en avril 2011... (ça n'est pas mon programme de blogueur, simplement une suggestion de lectures). Voici en effet une sélection de 12 titres parus depuis le 1er janvier 2010. On y trouve des pointures (Emmanuel Dongala), des auteurs qui montent (Wilfried N'Sondé) et un petit nouveau (Jérôme Nouhouaï).

Notons que Gallimard est aux avant-postes, avec cinq oeuvres publiées dans sa collection « Continents noirs », parfois qualifiée de « ghetto » pour auteurs africains mais qui prouve ici son dynamisme. Suivie de près par Actes Sud et Le Serpent à plumes (trois livres chacun).


Anticorps
de Fabienne Kanor
(Martinique)
Gallimard, 2010
168 p., 15,90 euros


Présentation de l'éditeur :
« Il n'y a rien, dans mes mots, qui puisse s'inscrire dans ton programme, ce plan de fin de vie que tu as cru bon de fixer, qu'au fil des ans, patiemment, presque sournoisement, tu as échafaudé, à seule fin de t'en tirer. Où te figures-tu donc aller ? Combien de points vieillesse as-tu mis de côté ? » Après quarante ans de mariage, Louise se décide enfin à désobéir. L'histoire d'une liberté provisoire conquise au mépris des bonnes manières. Le bilan drôle et cruel de toute une vie de rébellions étouffées, porté par une écriture à poigne.


Le Corps rebelle d'Abigail Tansi
de Chris Abani
(Nigeria)
Albin Michel, 2010
160 p., 17 euros

Présentation de l'éditeur :
Hantée par le fantôme de sa mère morte en couches, Abigail, une adolescente nigériane dotée d’une force de caractère peu commune, est envoyée par son père à Londres chez des cousins. Mais loin d’y trouver la paix, elle plonge bien vite dans un enfer de solitude. Habile à mobiliser les pouvoirs attachés au spectre maternel pour survivre, elle va devoir payer sa résistance au prix fort… Tout à la fois lyrique et dépouillée, forgée aux rythmes et aux cadences de son pays natal, la prose de Chris Abani sublime l’expérience de la souffrance humaine en une méditation profonde sur la perte, l’abandon et la solitude. Par-delà la tragédie, Le Corps rebelle d’Abigail Tansi est un chef-d’oeuvre de poésie et de sensualité.


Le Diable dévot
de Libar M. Fofana
(Guinée)
Gallimard, 2010
186 p., 16 euros

Présentation de l'éditeur :
Dans l'incapacité pécuniaire d'effectuer un pèlerinage à La Mecque, l'imam Galouwa craint d'être remplacé par un jeune hadji qui convoite sa place et ses privilèges. Un octogénaire lui propose le prix d'un billet d'avion en échange de sa fille Hèra, âgée de 13 ans. Vendre la chair de sa chair au diable pour conserver sa religieuse fonction ? Ce marché horrible ne plonge pas du tout Galouwa dans les affres d'un choix impossible. Le Diable dévot est un roman d'une rare et cruelle lucidité, une tranche de vie vraie coupée dans la peau d'une jeune fille pour la plus grande gloire de Dieu, diraient d'autres religieux dans une autre religion. Un déchirant sacrifice, une passion portée par une écriture cristalline à en émouvoir jusqu'à la pierre carrée de La Mecque.


Exils
de Nuruddin Farah
(Somalie)
Le Serpent à plumes, 2010
384 p., 23 euros


Présentation de l'éditeur :
Après vingt ans d'exil à New York, Jeebleh décide de retourner en Somalie, son pays. Au programme : trouver la tombe de sa mère et aider son ami d'enfance Bile à récupérer Raasta, sa fille enlevée. Mais quand il débarque à Mogadiscio, Jeebleh se rend compte que la situation a radicalement empiré. Les clans ont divisé le pays, les adolescents prennent les gens pour des cibles et les Américains ont la gâchette facile. La tâche de Jeebleh est complexe, d'autant qu'on se méfie de lui. A quel clan appartient-il aujourd'hui ? Dans ce monde chaotique où rien ni personne n'est ce qu'il paraît, où chaque mot peut être une bombe, la petite Raasta, nommée la Protégée, représente l'espoir. Ses mots, sa présence sont le seul réconfort de ce peuple de vautours gouverné par la peur.


L'Iguifou
de Scholastique Mukasonga
(Rwanda)
Gallimard, 2010
120 p., 13,50 euros


Présentation de l'éditeur :
L'Iguifou, c'est le ventre insatiable, la faim, qui tenaille les déplacés tutsi de Nyamata en proie à la famine et conduit Colomba aux portes lumineuses de la mort... Mais à Nyamata, il y a aussi la peur qui accompagne les enfants jusque sur les bancs de l'école et qui, bien loin du Rwanda, s'attache encore aux pas de l'exilée comme une ombre maléfique... Après le génocide, ne reste que la quête du deuil impossible, deuil désiré et refusé, car c'est auprès des morts qu'il faut puiser la force de survivre. L'écriture sereine de Scholastique Mukasonga, empreinte de poésie et d'humour, gravite inlassablement autour de l'indicible, l'astre noir du génocide.


Monsieur Ki
de Koffi Kwahulé
(Côte d'Ivoire)
Gallimard, 2010
145 p., 16 euros

Présentation de l'éditeur :
« Toujours est-il que je ne me sens à l'aise qu'avec les Blancs racistes ; avec eux je suis confiant, je sais à quoi m'en tenir, je sais où je mets les pieds. (...) En revanche, je me méfie de ceux qui ont un ami sénégalais ou camerounais, les Monsieur-moi-je-connais-bien-les-Noirs, les Monsieur-moi-j'ai-passé-vingt-ans-en-Afrique, qui n'écoutent que Miles Davis ou Tiken Jah Fakoly, qui ne jurent que par la spontanéité et l'élégance naturelle des nègres. (...) Je ne mets pas en doute leur sincérité, mais ils me foutent mal à l'aise, c'est tout. » Voici un roman fou qui révèle, plus que les sages, notre monde, au premier, au deuxième, au trentième degré !... Roman-rhapsodie, Monsieur Ki chante et nous enchante pour caresser à rebrousse-poil notre temps...


L'Or des rivières
de Nimrod
(Tchad)
Actes Sud, 2010
125 p., 13 euros

Présentation de l'éditeur :
Revenant au pays comme chaque année pour visiter sa mère, Nimrod emprunte aux premières lueurs de l'aube les ruelles ocre de son quartier d'antan. Par-delà les années la vieille dame n'a pas bougé, et pour son fils exilé, voyageur lettré de passage en ce monde dont elle préserve l'intemporelle réalité, un sentiment soudain se précise : « C'est ma mère qui invente ce pays. » A partir de ce subtil hommage, Nimrod déploie, dans une succession de tableaux, des récits dans lesquels il réenchante les bonheurs passés et revient aux origines de son tempérament contemplatif, comme si dans l'enfance il percevait déjà l'inévitable départ et dès lors s'efforçait de préserver en lui un refuge aux dimensions de l'univers : la poésie est fille de mémoire.


Photo de groupe au bord du fleuve
d'Emmanuel Dongala
(Congo-Brazzaville)
Actes Sud, 2010
333 p., 22,80 euros


Présentation de l'éditeur :
Elles sont une quinzaine à casser des blocs de pierre dans une carrière au bord d'un fleuve africain. Elles viennent d'apprendre que la construction d'un aéroport a fait considérablement augmenter le prix du gravier, et elles ont décidé ensemble que le sac qu'elles cèdent aux intermédiaires coûterait désormais plus cher. Malgré des vies marquées par la pauvreté, la guerre, les violences sexuelles et domestiques, l'oppression au travail et dans la famille, les « casseuses de cailloux » découvrent la force collective et retrouvent l'espoir. Par sa description décapante des rapports de pouvoir dans une Afrique contemporaine dénuée de tout exotisme, Photo de groupe au bord du fleuve s'inscrit dans la plus belle tradition du roman social et humaniste, l'humour en plus.


Le Piment des plus beaux jours
de Jérôme Nouhouaï
(Bénin)
Le Serpent à plumes, 2010
338 p., 19 euros


Présentation de l'éditeur :
Nelson est un étudiant en deuxième année de droit. Il partage un deux-pièces avec deux autres étudiants : Jojo, sapeur, obsédé par les filles et l'argent, et Malcolm, intellectuel panafricain qui rumine de sombres pensées : les Libanais sont la gangrène du pays, explique-t-il, ils sont avides, racistes, sans foi ni loi. Un commerçant libanais est attaqué, battu. La boutique d'un autre incendiée. Un troisième est enlevé, retrouvé mort. Nelson soupçonne Malcolm, tandis qu'un groupe clandestin, le Calice noir, revendique les agressions contre des Libanais... Voici le cadre posé de ce premier roman foisonnant, avec pour question centrale : Où commence la xénophobie ? Un texte drôle, cruel et ironique. Une langue qui vaut le détour. Un portrait subtil et cru du Bénin d'aujourd'hui.


Si la cour du mouton est sale, ce n'est pas au porc de le dire
de Florent Couao-Zotti
(Bénin)
Le Serpent à plumes, 2010
202 p., 16 euros

Présentation de l'éditeur :
Il y a d'abord une miss, belle et longiligne, qu'on retrouve mutilée sur la berge de Cotonou. Il y a ensuite une autre galante, toute aussi irrésistible, qui vient proposer à un homme d'affaires libanais d'échanger de l'argent contre une valise de cocaïne. Il y a enfin un détective privé, contacté par une troisième chérie, qui voudrait un acquéreur pour la même poussière d'ange... Mais les nuits à Cotonou ont de multiples saveurs, qu'elles proviennent des fantômes teigneux, des amazones ou des populations elles-mêmes. Des gens qui aiment se rendre justice et charcuter au couteau tous ceux qui, dans leurs quartiers, sont surpris en flagrant délit de « pagaille nocturne ».


Le Silence des esprits
de Wilfried N'Sondé
(France, Congo)
Actes Sud, 2010
170 p., 17 euros


Présentation de l'éditeur :
Terrorisé par un contrôle de police sur les quais de la gare de Lyon, Clovis Nzila vient de sauter dans un train de banlieue. Sans-papiers, clandestin, il s'assied au hasard d'un wagon surchauffé et tente de maîtriser sa peur. Face à lui, une femme l'observe, accepte en retour ses regards indiscrets, ne semble pas effrayée par sa triste apparence. Attentive, elle engage la conversation, perçoit le désespoir de ce jeune Africain... Ensemble, ils vont plonger sans retenue dans un mirage, convaincus de renaître des cendres du passé. Après Le Coeur des enfants léopards, un premier roman très remarqué, Wilfriel N'Sondé nous livre ici le récit d'une rencontre sur le mode d'une ballade sombre et lumineuse.


Ténèbres à midi
de Théo Ananissoh
(Togo)
Gallimard, 2010
138 p., 13,90 euros


Présentation de l'éditeur :
Eric Bamezon, conseiller à la présidence de la République, convie le narrateur, un soir, à dîner. On s'attend à une rencontre avec un homme satisfait de sa vie et heureux de sa réussite; on découvre, à mesure qu'avance la nuit, un être pris dans un piège aux motifs obscurs... Ténèbres à midi est un roman où percent une ironie et une lucidité rares ; c'est le récit épuré et sans concession d'une perception de soi et de ses origines. Au-delà d'une histoire située en Afrique, c'est une question ni caduque ni réservée aux autres que reprend ici l'auteur : comment se conduire en homme ou femme de conscience dans un temps de cruauté généralisée ?

mercredi 21 avril 2010

Karel Schoeman


Karel Schoeman (prononcer Skeuman) est né en 1939 à Trompsburg, dans l'Etat libre d'Orange, en Afrique du Sud. Après des études secondaires à Paarl, dans la province du Cap, il étudie la linguistique à l'université de Bloemfontein puis, converti au catholicisme, entre au séminaire à Pretoria. Après trois années de noviciat dans des monastères franciscains en Irlande, où il apprend le gaélique, il renonce finalement à prononcer ses voeux et, rentré en Afrique du Sud, obtient un diplôme supérieur de bibliothécaire.

Ce métier le mènera dans un premier temps aux Pays-Bas pendant cinq ans, puis de nouveau à Bloemfontein, et enfin au Cap, où il restera jusqu'à sa retraite, en 1999. Parallèlement à cette activité, Karel Schoeman se consacre à l'écriture et publie une dizaine de romans écrit en afrikaans. En France, ceux-ci sont petit à petit publiés, tardivement, chez Phébus. Il est aussi l'auteur de nouvelles, d'ouvrages historiques, de biographies et de traductions en afrikaans de divers textes gaéliques, allemands, russes, néerlandais et anglais.

Solidaire du combat des Noirs contre l'apartheid, Karel Schoeman a reçu en 1999, des mains de Nelson Mandela, l'Ordre du mérite, la plus haute distinction sud-africaine. Aujourd'hui, l'écrivain vit retiré dans un village perdu du veld. Ces romans, encore peu connus en France malgré le prix du Meilleur livre étranger attribué en 2009 à Cette vie, racontent une Afrique du Sud désenchantée et la solitude propre à la condition humaine.

A lire (en français) :
En étrange pays, Robert Laffont, 1991
La Saison des adieux, Phébus, 2004
Retour au pays bien-aimé, Phébus, 2006
Cette vie, Phébus, 2009

Sources : Rue des livres, Phébus, Wikipédia

lundi 19 avril 2010

Déjà un an, « Encres noires » fait le bilan


Avec un peu de retard,
je constate que le temps est venu pour moi de fêter le premier anniversaire de ce blog, et j'en profite pour faire un petit bilan... statistique. Pour ce qui est d'un bilan plus personnel, je dois dire qu'il n'est pas facile de s'astreindre à un rythme de publication soutenu et, ces dernières semaines, j'avoue avoir quelque peu décroché...

Depuis le 7 avril 2009, « Encres noires » a connu une fréquentation moyenne de 18,4 visiteurs uniques par jour. Ce qui n'est pas énorme... Mais il faut souligner que le nombre de visiteurs augmente au fur et à mesure que le blog s'enrichit de nouveaux articles : ainsi, sur les six derniers mois, la moyenne est de 24,5 visiteurs uniques par jour. Cependant, la fréquentation est aussi fonction de la fréquence de publication : ainsi, depuis le mois de janvier, le nombre de visiteurs stagne quelque peu...

Ces visiteurs viennent de 110 pays dans le monde, de l'Uruguay à l'Iran... Dans le top 10 qui suit, on retrouve sans surprise les principaux pays francophones, plus les Etats-Unis. Notons que cinq d'entre eux sont des pays africains (en rouge).

1. France
2. Canada
3. Etats-Unis
4. Sénégal
5. Belgique
6. Bénin
7. Burkina Faso
8. Suisse
9. Maroc
10. Côte d'Ivoire

Pour compléter ces indications géographiques sur la provenance des visiteurs, voici le top 10 des villes :

1. Paris
2. Dakar
3. Lyon
4. Cotonou
5. Toulouse
6. Abidjan
7. Ouagadougou
8. Nantes
9. Rennes
10. Bordeaux


Il est par ailleurs intéressant de voir quelles sont les chroniques de livres les plus consultées. Dans le top 5 qui suit, on remarque deux choses :

1) Les classiques de la littérature africaine, étudiés dans de nombreux pays africains, sont particulièrement sollicités – par les élèves ? C'est le cas des Bouts de bois de Dieu et de L'Enfant noir.

2) Les deux seuls essais dont il a été question sur ce blog, La Condition noire et Complices de l'inavouable, se placent en deuxième et troisième positions. De là à penser que la lecture d'essais est trop laborieuse pour ne pas se contenter d'un résumé lu sur internet, il y a un pas que je préfère ne pas franchir...




Top 5 des livres :
1. Les Bouts de bois de Dieu, de Sembène Ousmane
2. La Condition noire, de Pap Ndiaye
3. Complices de l'inavouable, de Patrick de Saint-Exupéry
4. L'Enfant noir, de Camara Laye
5. Black Bazar, d'Alain Mabanckou

Top 5 des auteurs :
1. Sembène Ousmane (Sénégal)
2. Amadou Hampâté Bâ (Mali)
3. Abdourahman Waberi (Djibouti)
4. Moussa Konaté (Mali)
5. André Brink (Afrique du Sud)

NB : Bien sûr, ce « palmarès » est quelque peu faussé par l'ancienneté des articles publiés, les publications les plus récentes ayant a priori été moins consultées que celles qui les précèdent.

lundi 5 avril 2010

« Cette vie », de Karel Schoeman


Austère. C'est le premier mot qui me vient à l'esprit pour qualifier ce roman. Austère comme le veld sud-africain, battu par les vents, où paissent les moutons et scintillent des lacs, et que Karel Schoeman ne se lasse pas de décrire tout au long de Cette vie (1993), avec, bien souvent, les mêmes mots, le même regard : plateau immuable sur lequel seules les saisons ont prise. Austère, aussi, comme la vie des Afrikaners qui peuplent le Roggeveld au tournant du XIXème siècle : familles d'éleveurs taiseux qui ne quittent leur ferme que l'hiver, pour se rendre en transhumance dans la plaine du Karoo. Austère, enfin, comme la vie de celle qui raconte l'histoire, sa propre histoire : une vieille fille sur son lit de mort qui se remémore sa « drôle » d'existence. Par « drôle », comprendre « insensée » plutôt que « fantaisiste ».

Elle fut la benjamine d'une famille d'éleveurs de moutons, propriétaires terriens aisés par rapport au reste de la société clairsemée qui survivait sur le plateau : bergers journaliers, nomades de passage, domestiques. Au soir de sa vie, là voilà qui peine à trouver le sommeil dans une chambre de la maison construite par ses aïeux, où elle est née et a passé la quasi-totalité de sa vie. Dans le noir, des souvenirs, des bribes de souvenirs, l'assaillent, s'entrechoquent et, parfois, s'imbriquent miraculeusement. Elle ne peut alors s'empêcher de tenter de réunir les pièces du puzzle par lequel, peut-être, son existence révèlera son sens caché.

A partir d'éclairs jaillis d'un passé déjà lointain, elle essaie de dissiper les ombres, de percer les mystères sur lesquels ni les inscriptions gravées sur les pierres tombales de ses proches, ni les dates soigneusement reportées dans la Bible familiale, ne disent rien. Dans quelles circonstances son frère Jakob, dont on retrouva le corps dans une crevasse, a-t-il réellement trouvé la mort ? Qu'est-il advenu de son épouse Sofie, qui amena tant de joie dans la maison et disparut un beau jour, en même temps que son second frère Pieter ? Et pourquoi celui-ci revint-il des années plus tard, méconnaissable, hagard ?

Elle est celle à qui l'on n'expliquait jamais rien, celle qu'on ne voyait pas, celle qui ne parlait pas, celle qui se contentait d'observer et d'écouter, celle qui mourra sans personne pour la pleurer. Si transparente qu'elle n'a pour se souvenir quasiment aucune parole à elle adressée, seulement des chuchotements surpris derrière un rideau, les ricanements des domestiques, et des images encore floues, fugitives, auxquelles elle parvient peu à peu, à tâtons, à donner une signification.

Karel Schoeman nous parle ici d'une Afrique du Sud reculée, isolée, méconnue. A des centaines de kilomètres des lumières du Cap, à des dizaines d'années des enjeux de l'apartheid. Une sorte de far-west sud-africain où le passage d'une roulotte constitue le seul événement, la seule distraction apparente. Mais, derrière les volets clos des maisons, se trament des intrigues cachées, des jeux de pouvoir non avoués, des drames qu'il est de bon ton de taire.

Il faudra une vie entière à la narratrice pour comprendre tout cela. Et plus de 250 longues pages au lecteur pour prendre le temps de s'interroger sur son propre destin. Car le roman écrit par Karel Schoeman à l'âge de 53 ans ne manque pas de susciter cette angoisse, en forme de point d'interrogation, qui assaille tout homme à l'existence bien entamée : quand il ne reste de nous plus qu'un nom sur une stèle et quelques souvenirs dans les têtes, à quoi se résume une vie ?

Cette vie
Titre original : Hierdie Lewe (1993)
de Karel Schoeman
Traduit de l'afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein
Phébus, 2009
265 p., 21 euros

Lire d'autres chroniques de Cette vie sur les blogs Passion des livres et Ici Palabre.