Ces dernières semaines, je n'ai pas eu beaucoup de temps à consacrer à ce blog, et la fréquence des billets publiés s'en est ressentie. Pour compenser, je me permets de vous renvoyer vers ce que des spécialistes de la littérature africaine écrivent bien mieux que moi : trois articles, signés de
Tirthankar Chanda pour les deux premiers et de
Jacques Chevrier pour le troisième, qui font dialoguer littérature noire et histoire de l'Afrique, alors que l'on célèbre en 2010 les 50 ans de l'indépendance de nombreux pays africains.
1) « Orphée débaîllonné : naissance de la littérature noire »

Dans ce premier article,
Tirthankar Chanda, journaliste littéraire à RFI et professeur à Paris-VIII et à l'Inalco, s'intéresse à l'émergence de la « littérature nègre ». Si le Sénégalais
Amadou Mapaté Diagne peut être considéré comme le premier écrivain africain, il faut souligner que son court récit,
Les Trois Volontés de Malic (1920), reste très marqué par le genre du
« roman colonial » et ne peut de ce fait prétendre représenter la littérature africaine.
L'acte de naissance de celle-ci vient un an plus tard, en 1921, avec la parution de
Batouala, du Guyanais – autre paradoxe –
René Maran,
qui obtient le prix Goncourt malgré une préface très virulente à l'égard du système colonial : le
« style nègre » était né, estimera
Léopold Sédar Senghor, voyant en René Maran le
« précurseur de la Négritude ». Le mouvement porté par Senghor, Césaire et Damas se développe dans les années 1930 et, après-guerre, se mêle, dans les oeuvres des nouveaux romanciers qui émergent alors, à des thématiques de contestation et de révolte contre le système colonial.
« Les années 1950 et 1960 représentent l'âge d'or du roman africain d'expression française, écrit Tirthankar Chanda,
avec la publication des grands classiques » :
L'Enfant noir (1953), de
Camara Laye ;
Le Pauvre Christ de Bomba (1956), de
Mongo Béti ;
Les Bouts de bois de Dieu (1960), de
Sembène Ousmane ;
L'Aventure ambiguë (1961), de
Cheikh Hamidou Kane.
Lire l'article sur
RFI.fr2) « Les indépendances au miroir des littératures africaines »Après les indépendances, les écrivains africains retournent
« l'engagement forgé dans le haut fourneau des combats coloniaux contre les nouveaux maîtres de l'Afrique », explique Tirthankar Chanda dans ce deuxième article, et dénoncent la corruption, la violence, le népotisme, les coups d'Etat, les dictatures...
C'est le cas notamment du Malien
Yambo Ouologuem qui publie
Le Devoir de violence (1968) et de l'Ivoirien
Ahmadou Kourouma qui, dans
Les Soleils des indépendances (1968 également), invente en outre une langue d'écriture métissée qui bouscule le français classique. Toute une génération de nouveaux écrivains s'inscrit par la suite dans l'héritage de Ouologuem et Kourouma, parmi lesquels
Williams Sassine (Guinée),
Tierno Monénembo (Guinée),
Boubacar Boris Diop (Sénégal),
Emmanuel Dongala (Congo), etc.
Autre vague, les écrivaines africaines font leur entrée sur la scène littéraire à partir de la fin des années 1970 : d'abord avec la Sénégalaise
Mariama Bâ (
Une si longue lettre, 1979), puis avec
Aminata Sow Fall (Sénégal),
Ken Bugul (Sénégal),
Véronique Tadjo (Côte d'Ivoire) ou
Calixthe Beyala (Cameroun).
Enfin, une quatrième génération, transcontinentale voire universaliste, émerge dans les années 1990-2000 et se détache de l'Afrique comme unique thématique : ses principaux porte-parole s'appellent
Alain Mabanckou,
Abdourahman Waberi,
Kossi Efoui,
Kangni Alem,
Fatou Diome, etc.
Lire l'article sur
RFI.fr 3) « Cinquante ans de littérature africaine subsaharienne »

Dans ce troisième article,
Jacques Chevrier, grand spécialiste des lettres africaines, professeur à la Sorbonne et auteur, entre autres, de l'ouvrage de référence
Littérature nègre (1974), revient sur les thèmes abordés ci-dessus. Il rappelle que le fait littéraire est déjà présent en Afrique bien avant les indépendances, au travers notamment de la pensée de la Négritude.
Il insiste sur le tournant que prend la littérature africaine en 1968, avec la publication du
Devoir de violence, de
Yambo Ouologuem, qui
« fait voler en éclats le mythe de la grande fraternité nègre », et des
Soleils des indépendances, d'
Ahmadou Kourouma, qui
« inaugure, sur le mode la dérision, la veine des récits du désenchantement post-colonial » et
« apporte la preuve qu'un écrivain africain peut couler son écriture dans le moule d'une pratique langagière autre » que le français. Une rupture dans l'écriture que le Congolais
Sony Labou Tansi portera à son apogée dans
La Vie et demie, en 1979 ; une déconstruction du récit qu'on retrouve aussi chez
Boubacar Boris Diop,
Kossi Efoui et
Abdourahman Waberi.
Jacques Chevrier évoque également des auteurs socialement engagés :
Mariama Bâ,
Were Were Liking,
Calixthe Beyala,
Tanella Boni ou
Véronique Tadjo, chez les écrivaines, engagent une
« guerilla féministe » ou bien disent
« le mal-être engendré par l'univers urbain », avec parfois un recours au
« carnavalesque » que l'on retrouve par ailleurs chez
Sony Labou Tansi,
Florent Couao-Zotti ou
Williams Sassine. Cette
« violence scripturaire » est aussi mise au service d'une
« écriture de la guerre » qui aborde les conflits inter-ethniques en Sierra-Leone, au Liberia ou au Congo (
Ahmadou Kourouma,
Emmanuel Dongala), sans oublier le génocide rwandais (
Boubacar Boris Diop,
Véronique Tadjo,
Abdourahman Waberi,
Tierno Monénembo).
Enfin, l'auteur de l'article s'intéresse, en Europe, au courant qualifié de « littérature de banlieue », mené par des écrivains nés dans les années 1970, tels que
Mamadou Mahmoud N'Dongo. Ces écrivains, avec les nombreux autres qui
« évoluent entre plusieurs pays, plusieurs langues et plusieurs cultures », dessinent un nouveau courant, celui de la « Migritude », où ils se définissent d'abord comme écrivains, accessoirement comme nègres.
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Cultures Sud