Blog consacré aux littératures africaine et caribéenne. En sommeil depuis octobre 2010.

mercredi 11 janvier 2017

« D'une traite », de Fabien Mollon


J'ai le plaisir de vous présenter « D'une traite », mon premier roman, récit d'anticipation dont l'intrigue se déroule en grande partie au Sénégal. Il est disponible en version papier à cette adresse : https://empo.bandcamp.com/merch/dune-traite-roman-2

Le contexte
Années 2050. A cause d'une utilisation abusive de pesticides et autres substances chimiques, l'Europe est touchée par une stérilité à grande échelle. Pour pallier le manque de main d’œuvre et enrayer le déclin démographique, elle fait appel à une immigration massive... et forcée. La France a ainsi passé un accord de gestion des flux migratoires avec le Sénégal : à Dakar, l'Aneci, la très redoutée Agence nationale pour l'émigration et la coopération internationale, dresse des listes d'« émigrés volontaires » qu'elle envoie à Paris en échange de confortables transferts de fonds.

Le résumé
Mbagnick, un étudiant appelé par l'Aneci, entre dans la clandestinité. Il fuit dans la région du Sine Saloum avec deux « camarades », direction un « camp d'entraînement » destiné à organiser la résistance... Pendant ce temps, Badou, syndicaliste étudiant, prépare la révolution malgré les pressions de l'Aneci, et Yandé, doctorante en biologie, planche sur le volet scientifique de la politique dite de « Coopération internationale ». Parallèlement, en France, Yannick désespère de gagner un jour la confiance de sa mystérieuse compagne fraîchement débarquée...

L'intention
A travers ce court roman, j'ai voulu revisiter les relations entre la France et l'Afrique, de l'esclavage à l'impérialisme économique en passant par la colonisation. En imaginant comment cette relation pourrait tourner selon les besoins futurs de l'Europe, j'entends dénoncer la vision utilitariste qu'a la France de l'Afrique. En creux, il s'agit aussi de se faire l'écho de la politique migratoire française. Ainsi, les centres de rétention français se transforment dans le roman en « centres de transit » sénégalais... A un niveau plus humain, j'ai voulu aborder les tiraillements des personnages, qui cherchent leur place dans l'histoire présente et oscillent sans cesse entre résignation/collaboration et indignation/résistance.

mercredi 13 juin 2012

« Le Marchand de passés », de José Eduardo Agualusa



Jamais le gecko
qui symbolise les éditions Métailié n'aura aussi bien trouvé sa place, même discrète, que sur la première de couverture du Marchand de passés (2006), de l'écrivain angolais José Eduardo Agualusa. De fait, on retrouve le lézard dans chaque page du roman. Agrippé au mur d'une maison de Luanda, il nous raconte tout ce qu'il observe chez Félix Ventura, bouquiniste albinos aux étranges activités : « Un homme qui trafiquait les souvenirs, qui vendait le passé, secrètement, comme d'autres font de la contrebande de cocaïne », nous explique le reptile qui, dans une vie antérieure, était lui-même un homme...

Du passé, on s'en doutait eu égard au titre, il est beaucoup question dans ce livre. Et, par conséquent, de l'identité, dont il est un élément inaliénable et intangible. Quoique... Justement, les clients de Félix Ventura, personnalités haut placées dont le présent est éclatant, l'avenir généralement assuré, viennent se procurer chez lui des ancêtres illustres, des parchemins, bref, « un nom qui évoque la noblesse et la culture ». D'abord aux yeux du monde, puis, la mémoire humaine se nourrissant dans une large mesure « de ce que les autres se rappellent de nous », estime l'auteur, les mystificateurs se prennent au jeu, commencent à croire à leur propre histoire, celle qui leur a été taillée sur mesure en fonction de leurs frustrations et fantasmes. Jusqu'à ce que des fantômes du passé, du vrai cette fois-ci, resurgissent, faisant s'écrouler l'édifice de souvenirs fictifs sur lequel ils comptaient fonder leur existence.

On l'a compris : à la composante immuable de l'identité que représente le passé s'ajoute, selon le romancier angolais, celle, plus fluctuante et plus subjective, de la mémoire, soumise aux œillères de la volonté, à l'aveuglement de l'inconscient – deux personnages du roman, photographes, symbolisent cette mémoire « cadrée ». Enfin, troisième dimension, plus intime, de l'identité : le rêve, monde parallèle dans lequel le gecko narrateur s'imagine, se revoit même, homme. L'écriture de José Eduardo Agualusa est elle-même teintée d'accents oniriques qui ne sont pas sans rappeler la prose d'un autre écrivain africain, blanc et lusophone : le Mozambicain Mia Couto, auteur notamment du Fil des missangas les deux hommes de lettres ont d'ailleurs travaillé ensemble sur deux pièces de théâtre.

Passé et présent, mémoire et rêve, réalité et fiction... On est là au cœur des vents contraires qui soufflent sur la littérature : Le Marchand de passés, au final, n'est-il pas une fable sur la magie de l'écriture ? Le bouquiniste faussaire le reconnaît lui-même : « Moi aussi je crée des intrigues, j'invente des personnages, mais au lieu de les garder prisonniers dans un livre je leur donne vie, je les jette dans la réalité. »

Le Marchand de passés

Titre original : O Vendedor de passados (2004)
de José Eduardo Agualusa
Traduit du portugais (Angola) par Cécile Lombard
Métailié, 2006
131 p., 15,50 euros



Du même auteur (œuvres traduites en français) :
- La Saison des fous, Gallimard, 2003
- La Guerre des anges, Métailié, 2007
- Les Femmes de mon père, Métailié, 2009
- Barroco tropical, Métailié, 2011

samedi 23 octobre 2010

« Encres noires » entre officiellement en sommeil


Quatre mois que je n'ai rien publié sur ce blog...
Mon activité professionnelle s'étant quelque peu intensifiée, depuis six mois je manque de temps, non pour lire, mais pour écrire, et aussi pour suivre l'actualité de la littérature africaine. C'est donc officiel : « Encres noires » entre en sommeil pour une durée indéterminée.

Une bonne nouvelle cependant : on pourra me retrouver occasionnellement dans les pages de l'hebdomadaire panafricain Jeune Afrique et sur son site internet. Pour commencer, voici une interview de Fatou Diome au sujet de son dernier roman, Celles qui attendent, et une chronique du nouveau livre de Mamadou Mahmoud N'Dongo, La Géométrie des variables.

mardi 22 juin 2010

« Le Piment des plus beaux jours », de Jérôme Nouhouaï


Une écriture pimentée comme les dialogues d'un album d'Aya de Yopougon, une intrigue lumineuse comme la lune sur les nuits agitées de Cotonou : Le Piment des plus beaux jours (2010), première oeuvre de l'écrivain béninois Jérôme Nouhouaï, est une belle surprise. Non, ce n'est pas le roman de l'année, mais cette fiction légère et bien emmenée tient en haleine et, sous une apparence de superficialité, brasse des enjeux plus profonds qu'il n'y paraît.

Nelson est étudiant en deuxième année de droit à l'université d'Abomey-Calavi, à quelques minutes de « zém » de la capitale. Il partage un deux-pièces avec deux camarades : Jojo, coureur de jupons invétéré qui ne pense qu'à ramener des filles au nez et à la barbe du propriétaire, et Malko, intellectuel panafricain très remonté contre les Libanais qu'il accuse d'exploiter, de piller, bref de parasiter le pays. Nelson, lui, songe à ses examens, de moins en moins, et à Josiane, l'intouchable fille d'un ex-ministre, de plus en plus...

Alors qu'à la fac il redouble d'audace pour séduire celle qu'il lui faut à tout prix posséder, celle à laquelle il adresse en pensées des poèmes enfiévrés où la grivoiserie le dispute au lyrisme, la radio distille de sombres nouvelles – une vague d'attentats s'abat sur la communauté libanaise du pays – et Malko se fait de plus en plus rare à l'appartement... Dans l'esprit de Nelson tourmenté par la belle Josiane, un lien de cause à effet se précise peu à peu et, décidément, les examens deviennent définitivement le cadet de ses soucis.

Plusieurs choses dans ce roman. Plaisant à lire, certes, et truffé de trouvailles linguistiques. Mais sur le fond aussi, Le Piment des plus beaux jours se révèle intéressant à plus d'un titre. D'abord, le message, explicite : Jérôme Nouhouaï met en garde contre la xénophobie latente au sein de la société béninoise et qui, insidieusement, gagne du terrain. Quand ce ne sont pas les Libanais qui en prennent pour leur grade, ce sont les Ibos venus du Nigeria voisin qui sont suspectés de tous les crimes et délits.

Second point qui a retenu mon attention : Le Piment des plus beaux jours met en scène avec une rare précision la classe moyenne qui émerge au sud du Sahara. A ma connaissance, peu de romans africains se sont autant inscrits dans le quotidien de cette partie de la population qui, dans chaque grande ville du continent, monte en puissance. Ce qui fait de ce livre une oeuvre résolument contemporaine, ancrée dans son époque, susceptible d'interpeller un large lectorat : chacun y trouvera des résonances avec son propre vécu.

De fait – et l'emploi de la première personne n'y est pas étranger –, on s'identifie très facilement à Nelson, étudiant plus ou moins insouciant qui ne cherche qu'à profiter de ses belles années, étudie le jour, fait la fête la nuit et travaille sur son temps libre pour arrondir les fins de mois. Avec cependant des enjeux bien spécifiques : tentation de l'Occident, émancipation des femmes, démocratisation du savoir... D'autres personnages interviennent, qui nuancent ou précisent les préoccupations, les désirs et les horizons de cette frange, pas encore dorée, plus tout à fait désargentée, de la jeunesse béninoise.

Le Piment des plus beaux jours
de Jérôme Nouhouaï
Le Serpent à plumes, 2010
338 p., 19 euros

lundi 14 juin 2010

Dinaw Mengestu


Dinaw Mengestu est né en 1978 à Addis-Abeba, en Ethiopie. Deux ans plus tard, sa famille quitte le pays, fuyant le régime dictatorial de Mengistu Haile Mariam, et part s'installer en banlieue de Chicago, aux Etats-Unis.

Après des études d'anglais à l'université de Georgetown (Washington), Dinaw Mengestu décroche un diplôme en littérature à l'université de Columbia (New York). Il devient alors professeur d'anglais à Georgetown, et travaillera également comme journaliste pour divers journaux : Harper's, The Wall Street Journal, Rolling Stone (avec notamment un reportage sur le Darfour)...

Les Belles Choses que porte le ciel, livre aux accents autobiographiques et sociaux publié en 2006, est son premier roman. En France, il a obtenu le prix du Roman étranger 2007.

A lire :
Les Belles Choses que porte le ciel, Albin Michel, 2007

Sources : Wikipedia, LeChoixDesLibraires.com

dimanche 13 juin 2010

Mort de Ferdinand Oyono


L'écrivain et homme politique camerounais Ferdinand Léopold Oyono a trouvé la mort, jeudi 10 juin à Yaoundé, à l'âge de 80 ans. Victime d'un malaise à l'issue d'une cérémonie officielle donnée en l'honneur du sécrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, au palais d'Etoudi, il s'est effondré devant la voiture qui devait le raccompagner chez lui et s'est éteint alors qu'on le transportait vers l'hôpital général.

Né en 1929 à Ebolowa, au Cameroun, Ferdinand Oyono s'est successivement distingué dans les domaines des lettres et des affaires publiques. Diplômé en droit à la Sorbonne et en diplomatie à l'Ecole nationale d'administration (ENA), après des études secondaires à Yaoundé et Provins, il se fait d'abord remarquer par son activité littéraire, avec trois romans publiés à la fin des années 1950, alors que la colonisation touche à sa fin.

Une vie de boy (1956), Le Vieux Nègre et la Médaille (1956) et Chemin d'Europe (1960), mettent en cause le système colonial en vigueur au Cameroun – et plus généralement en Afrique – : pratiques autoritaires de l'administration, manipulations des missionnaires, mépris vis-à-vis des colonisés... Son oeuvre, tour à tour drôle et grinçante, le place aux côtés des grands écrivains engagés de l'époque, tels Sembène Ousmane ou Mongo Béti, dont la démarche s'incrit dans une vision dynamique de l'histoire.

Une démarche volontariste que Ferdinand Oyono fera véritablement sienne en menant dès 1959 une brillante carrière de haut fonctionnaire au service du Cameroun : ambassadeur dans plusieurs pays ainsi qu'auprès de l'ONU à New York, puis ministre des Affaires étrangères et ministre de la Culture. Cette activité d'homme politique prendra le pas sur l'écriture jusqu'à la mort de Ferdinand Oyono, cinquante ans après la publication de Chemin d'Europe.

A lire :
Une vie de boy, Julliard, 1956
Le Vieux Nègre et la Médaille, Julliard, 1956
Chemin d'Europe, Julliard, 1960

Sources : Jeuneafrique.com, Africultures

mardi 25 mai 2010

« Les Belles Choses que porte le ciel », de Dinaw Mengestu


Encore un roman sur l'exil, me direz-vous. Oui, encore. Mais puisque l'exil est un puissant moteur littéraire et qu'il dit beaucoup sur la terre quittée et, surtout, sur ceux qui y sont nés et y restent attachés, ne boudons pas notre plaisir et accordons quelques lignes aux Belles Choses que porte le ciel (2006), de l'écrivain américain d'origine éthiopienne Dinaw Mengestu.

Car si Stéphanos, Joseph et Kenneth ont fui respectivement l'Ethiophie, le Congo et le Kenya pour les Etats-Unis, ce n'est pas pour le plaisir. Et ce n'est pas un hasard si, lorsqu'ils se retrouvent au comptoir de la petite épicerie de Stéphanos, leur jeu préféré est d'égréner la litanie des despotes qui ont marqué au fer rouge l'histoire du continent africain. En ce qui concerne Stéphanos, justement, c'est la révolution de 1974 et le régime militaire qui suivit qui l'ont poussé vers la capitale américaine. Il vit dans un quartier noir et déshérité de Washington, où d'anciennes maisons bourgeoises sont laissées à l'abandon autour de la statue du général Logan qui surplombe la boutique.

Jusqu'au jour où une femme et sa fille s'installent dans la maison voisine de celle où Stéphanos loue un modeste appartement. Il fera bientôt leur connaissance et une vraie complicité s'installera entre lui, Judith et la petite Naomi, enfant espiègle et sérieuse à la fois. Il n'en faudra pas plus pour qu'ils se prennent tous trois à faire le rêve, si proche et pourtant intangible, que Stéphanos traverse la rue et fonde avec elles, la mère célibataire et la petite fille métisse, un nouveau foyer. Mais il est difficile d'accepter le bonheur quand il se présente devant soi avec tant d'apparente facilité, et alors même qu'on a derrière soi tant d'invisibles chaînes qui empêchent d'avancer.

De fait, Stéphanos, tout comme Joseph et Kenneth, est comme suspendu dans le temps, figé dans un interminable automne. Il gère tant bien que mal sa petite épicerie, parce qu'il faut bien vivre et qu'elle lui offre tout de même une confortable indépendance, mais ne fonde aucun projet sur elle, pas plus que sur autre chose. Et il retourne parfois chez son oncle, qui l'avait accueilli à son arrivée d'Ethiopie, pour y réveiller les fantômes du passé. De même, ses deux amis nourissent des ambitions qu'ils semblent avoir peur d'atteindre. L'un a empilé les diplômes pour finalement se résoudre à singer son patron. L'autre se rêve poète et réécrit inlassablement le même vers tout en sachant qu'il n'en sera jamais satisfait.

Dans ce roman tout en douceur et en nuances – le roux des briques ou le fauve des feuilles mortes –, Dinaw Mengestu peint avec beaucoup de sensibilité un tableau de l'exil où les couleurs du passé et le flou du futur se fondent dans un présent monochrome, avec çà et là de fugaces et réconfortants éclats. A l'image de ce passage de La Divine Comédie, de Dante, qui, décrivant la sortie de l'Enfer, donne au livre son titre : « Par un pertuis rond je vis apparaître / Les belles choses que porte le ciel / Nous avançâmes et, une fois encore, vîmes les étoiles. »

Les Belles Choses que porte le ciel
Titre original : The Beautiful Things That Heaven Bears (2006)
de Dinaw Mengestu
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anne Wicke
Albin Michel, 2007
303 p., 21,50 euros


Lire d'autres chroniques des Belles Choses que porte le ciel sur les blogs Chez AnnDeKerbu et Passion des livres.