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mercredi 8 avril 2009

« La Pièce d’or », de Ken Bugul


C’est par une œuvre assez symbolique de la littérature africaine contemporaine que j’inaugure ce blog. La Pièce d’or (2006), de l’écrivaine sénégalaise Ken Bugul, fait à mon sens figure de roman « panafricain ». Certes l’histoire se déroule au Sénégal – les noms des personnages, les mots en wolof et certaines scènes ne laissent à ce titre aucun doute – mais le pays n’est volontairement jamais cité, les noms des villes sont détournés – la capitale s’appelle Yakar.

Car ce que décrit Ken Bugul dans ce roman est commun à de nombreux pays d’Afrique. L’auteure raconte comment un homme, Ba’Moïse, qui autrefois s’était battu avec un lion et à qui ce fait de gloire valait de jouer le rôle du faux-lion au jeu du simb dans son village d’origine, est contraint de fuir la misère pour une autre misère, celle de la grande ville, Yakar, où s’agrègent les rebuts de la société, matériels et humains.

L’exode rural et la misère, donc. Ce sont les premiers points, vérités incontestables du continent, qui apparaissent comme éléments « panafricains » au terme de ce résumé de l’intrigue. Mais ils sont la conséquence de l’occupation du pays. Non seulement celle des anciennes puissances coloniales – les « anciens occupants venus d’ailleurs », écrit Ken Bugul –, mais aussi celle des « nouveaux occupants » arrivés au pouvoir « après les années soixante », et qui bradent terres et mers à leurs prédécesseurs qui avaient instauré des cultures de rente ; et qui détournent des milliards de francs CFA au passage…

La Pièce d’or, fiction de bonne tenue, ressemble à s’y méprendre à une œuvre politique, en ce qu’elle décrit et dénonce le système implacable qui pousse les habitants à « l’errance » dans les rues de Yakar. Preuves de cet engagement et de la vocation panafricaine de ce roman, les titres de chapitres, sans rapport avec l’intrigue, égrènent les grands noms de la résistance et de l’histoire du continent : Thomas Sankara, Nelson Mandela, mais aussi Aung San Suu Kyi…

Sur la forme, le roman est rythmé par des phrases qui reviennent comme des roulements de tam-tam : « Et le bruit lourd et sourd montait des entrailles de la terre. » Comme un avertissement répété aux « nouveaux occupants » dont le « jemenfoutisme » ne peut plus durer car, niché entre les turpitudes d’une indépendance dévoyée et les promesses des mythes éternels, réside l’espoir, un « filet de lumière » pour guider le peuple loin de la résignation, vers la dignité retrouvée.

PS : Il semblerait que les citoyens de Dakar, en refusant d’élire Karim Wade, fils du « nouvel occupant », à la mairie de la capitale sénégalaise, fin mars, aient trouvé la fameuse « pièce d’or »

La Pièce d’or
de Ken Bugul
éditions UBU, 2006
314 p., 18 euros

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