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mercredi 24 juin 2009

« La Drôle et Triste Histoire du soldat Banana », de Biyi Bandele


Il est fréquent que l’on ne « rentre » vraiment dans un roman qu’arrivé au premier tiers de l’œuvre, que les premières pages peinent à nous transporter, que l’intrigue mette du temps à se mettre en place et à prendre toute son ampleur. Ce n’est pas le cas de La Drôle et Triste Histoire du soldat Banana (2007), de l’écrivain nigérian Biyi Bandele, qui nous plonge immédiatement dans la chaleur du Caire, alors que la Seconde Guerre mondiale dure déjà depuis deux ans. Dans ce prologue fiévreux, on découvre le général britannique Orde Charles Wingate, qui créera quelques mois plus tard, pour bouter les Japonais hors du Sud-Est asiatique, des groupes de réaction rapide, appelés « Chindits ».

Ali Banana, jeune Nigérian bavard, est un de ces combattants volontaires mobilisés par les Forces alliées pour combattre en « Bimani » au nom de « Lehoua Joj ». Volontaire, mais moins pour se battre que pour suivre ses amis plus vieux, il assomme de paroles et d’histoires les militaires chargés de l’enrôler ou de le mener au front. Cependant, sa verve s’effacera peu à peu – en même temps que la narration enlevée du roman – au fur et à mesure qu’il se rapprochera de la Ville blanche, forteresse assiégée au cœur de la jungle birmane.

De fait, si la rencontre avec Ali Banana à Hailakandi, au Nigeria, haute en couleurs et diablement rythmée, et ses péripéties en Inde, avant de rejoindre sa section, insufflaient une formidable énergie à l’intrigue, celle-ci se met à ronronner une fois arrivé en Birmanie. Ou plutôt à bourdonner, à l’instar des avions japonais qui survolent la jungle, laquelle étouffe l’énergie du départ. Manière de restituer la guerre, qui n’a rien de drôle, où l’homme disparaît derrière le combattant. Les paroles du soldat Banana se font plus rares, la personnalité du héros perd de sa force, s’éteint à l’ombre des autres héros que sont ses camarades de bataille, Nigérians et Britanniques, avançant dans la même galère, vers le même objectif, en direction d’un probable même sort…

« Un livre qui fait résonner, page après page, tout le talent narratif d’un véritable griot », est-il écrit sur la quatrième de couverture de La Drôle et Triste Histoire du soldat Banana. Cette phrase, signée du prix Nobel de littérature Wole Soyinka, reste valable même dans les plus sombres pages du roman. A travers la galerie de portraits des combattants qui accompagnent Ali Banana, Biyi Bandele révèle son merveilleux sens de la narration, truffant leurs histoires respectives de parenthèses, d’anecdotes, à rire ou à pleurer.

Et l’on ne peut que se réjouir qu’en l’espèce, ce sens de l’histoire aille dans le sens de l’Histoire. S’inspirant de personnages historiques réels et des récits de son père qui vécut cette guerre, les arrosant de son imagination débordante, Biyi Bandele évoque dans ce roman un pan peu connu de la Seconde Guerre mondiale, qui vit 500 000 soldats africains servir l'armée britannique au sein de la Royal West African Frontier Force et des King's African Rifles.

Evidemment, beaucoup ne revinrent pas sur le continent natal. Quant à Ali Banana, il se retrouvera bientôt seul, après l’inévitable disparition de nombre de ses frères de combat. A nouveau, il accapare l’attention, il renaît, mais d’une façon qui n’a rien à voir avec le Banana des débuts, changé qu'il est par l'épreuve de la guerre. La fin est drôle et triste. Sublime aussi.

La Drôle et Triste Histoire du soldat Banana
Titre original : Burma Boy (2007)
de Biyi Bandele
traduit de l'anglais (Nigeria) par Dominique Letellier
Grasset, 2009
268 pages, 18,50 euros

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